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vendredi 13 juin 2025

Le renseignement par la mesure et signature (MASINT) comme source d'information pour les Etats et les entreprises

La discipline qui s’intéresse spécifiquement aux émissions involontaires ou accidentelles, comme le bruit électromagnétique généré par un ordinateur, un moteur ou tout autre dispositif électronique, relève principalement du MASINT (Measurement and Signature Intelligence). Le MASINT englobe la détection et l’analyse de signatures physiques, chimiques ou électromagnétiques non intentionnelles, telles que la chaleur, le bruit, les vibrations ou les émissions électromagnétiques parasites, qui peuvent trahir la présence ou l’activité d’un système.

Le MASINT, ou « Measurement and Signature Intelligence » (renseignement de mesure et de signature), est une discipline du renseignement scientifique et technique qui se distingue par sa capacité à exploiter les caractéristiques physiques et chimiques d’objets, d’événements ou de phénomènes pour en extraire des informations stratégiques. Contrairement à d’autres branches du renseignement comme le SIGINT (renseignement d’origine électromagnétique) ou l’IMINT (renseignement d’imagerie), le MASINT ne se limite pas à l’écoute de signaux ou à l’analyse d’images. Il s’intéresse à toutes les signatures mesurables, souvent involontaires, que laissent les cibles ou les activités surveillées.

Le MASINT repose sur l’analyse d’un large éventail de traces physiques : émissions électromagnétiques, signatures acoustiques, infrarouges, nucléaires, chimiques, biologiques ou encore sismiques. Par exemple, la chaleur dégagée par un moteur, la composition spectrale d’un panache de missile, la vibration d’un véhicule sur le sol ou la présence de particules radioactives dans l’environnement sont autant d’indices exploitables. Ces informations, difficiles à falsifier, permettent de détecter, localiser, identifier et caractériser des objets ou des événements d’intérêt.

La discipline MASINT se décline en plusieurs sous-domaines : l’électro-optique (analyse des signatures dans le spectre visible, infrarouge ou laser), le nucléaire (détection des émissions radioactives ou des essais nucléaires), la géophysique (collecte de données sismiques, acoustiques ou magnétiques), le radar (exploitation avancée des signaux radar et des radars à synthèse d’ouverture), l’analyse des matériaux (identification de traces chimiques ou biologiques), et la radiofréquence (étude des émissions parasites ou involontaires).

Concrètement, le MASINT est utilisé pour détecter et suivre des missiles, des sous-marins, des avions ou des navires grâce à leurs signatures spécifiques ; pour identifier des activités nucléaires ou chimiques à partir des émissions ou des résidus présents dans l’environnement ; pour surveiller des essais d’armes ou des activités clandestines via des capteurs sismiques ou acoustiques ; ou encore pour évaluer les capacités d’armement et la performance des systèmes adverses. Il trouve aussi des applications dans la surveillance environnementale et la gestion de catastrophes, comme la détection de pollutions ou d’incidents industriels.

L’un des grands atouts du MASINT est de fournir des renseignements difficiles à tromper, car il s’appuie sur des signatures physiques intrinsèques, souvent involontaires. Il complète ainsi efficacement les autres disciplines du renseignement en apportant des informations inédites sur la nature, la localisation ou l’état d’une cible. Toutefois, le MASINT présente aussi plusieurs défis : il nécessite des capteurs sophistiqués, des capacités de traitement de données avancées et une expertise scientifique pointue. La masse d’informations collectées peut rapidement devenir difficile à gérer sans outils d’intelligence artificielle et de calcul performant. De plus, la diversité des capteurs et des formats de données complique l’intégration des résultats, et la collecte de certaines données peut soulever des questions juridiques ou éthiques, notamment en matière de vie privée ou de respect du droit international.

Le MASINT s’est donc imposé comme un pilier du renseignement moderne, essentiel pour détecter, identifier et comprendre les menaces complexes, qu’il s’agisse d’armements, d’activités clandestines ou de risques environnementaux. Sa force réside dans sa capacité à exploiter des signatures physiques uniques, au-delà des apparences ou des communications, mais il exige aussi une adaptation constante aux défis techniques, organisationnels et éthiques du renseignement contemporain.


RADINT (Radar Intelligence)

Le RADINT, ou radar intelligence, est une sous-catégorie du MASINT (Measurement and Signature Intelligence) qui se concentre sur la collecte, l’analyse et l’exploitation des informations issues des signaux radar, non pas pour intercepter des communications (comme l’ELINT), mais pour mesurer et caractériser les signatures physiques et dynamiques des cibles observées. Là où l’ELINT analyse la structure des émissions radar pour comprendre les systèmes adverses, le RADINT utilise des techniques radar spécialisées pour obtenir des données sur la forme, la taille, le mouvement, la composition et le comportement d’objets ou de phénomènes, qu’ils soient fixes ou mobiles.

Les capteurs RADINT peuvent être embarqués sur des satellites, des aéronefs, des navires ou des plateformes terrestres, et utilisent différentes technologies radar : radar à ouverture synthétique (SAR), radar à ouverture synthétique inverse (ISAR), radars bistatiques ou multistatiques, radars au-delà de l’horizon, ou encore des systèmes passifs qui exploitent les signaux existants dans l’environnement. Ces systèmes permettent de collecter des informations précises sur la signature radar d’une cible (radar cross-section), de suivre ses déplacements, de détecter des changements dans le terrain, d’identifier des structures cachées (bunkers, tunnels), ou encore de cartographier des zones inaccessibles par l’imagerie optique.

Concrètement, le RADINT a joué un rôle important dans plusieurs événements récents :

Image satellite ICEYE SAR du pont de Crimée (pont du détroit de Kerch ou pont de Kerch) qui relie la Russie continentale à la Crimée.

  • Conflit russo-ukrainien (2022 -) : Les satellites SAR commerciaux (comme ceux d’ICEYE ou Capella Space) ont permis de surveiller en temps réel les mouvements de troupes, de détecter le déplacement de blindés sous couverture nuageuse ou la nuit, et d’identifier les changements dans les infrastructures militaires russes et ukrainiennes. Ces données RADINT ont été essentielles pour ajuster les stratégies de défense, préparer des frappes ciblées et évaluer les dégâts après les attaques.
  • Détection de missiles et suivi balistique : Les systèmes radar MASINT, couplés à des plateformes comme les avions COBRA BALL, sont capables de localiser le site de lancement d’un missile, de suivre sa trajectoire sur plusieurs centaines de kilomètres, de déterminer le moment de l’extinction du moteur et de prédire le point d’impact, en exploitant la signature radar du missile en vol.
  • Surveillance maritime et aérienne : Des systèmes comme le « Silent Sentry » de Lockheed Martin utilisent les signaux radio et TV ambiants pour détecter et suivre des aéronefs sans émettre eux-mêmes, rendant la détection passive et donc indétectable par l’adversaire. Cela a été utilisé pour surveiller des avions furtifs ou des drones opérant dans des zones contestées.
  • Cartographie et détection de structures cachées : Les radars SAR ont permis, lors de récents conflits ou catastrophes naturelles, de cartographier des zones urbaines détruites, de détecter des tunnels ou des bunkers, et de repérer des obstacles sous la végétation ou la surface terrestre, là où l’imagerie optique est inefficace.

Le RADINT s’impose ainsi comme un outil indispensable pour la connaissance du terrain, la surveillance des activités adverses et la planification opérationnelle, en offrant une capacité de détection et d’analyse indépendante des conditions météorologiques ou de luminosité. Sa complémentarité avec les autres branches du MASINT et du renseignement technique en fait un pilier de la supériorité informationnelle dans les conflits contemporains.


IRINT (Infrared Intelligence)

Cliché de caméra thermique pour contrôle infectieux dans les aéroports

Inspection des réservoirs de stockage du froid pour détecter d'éventuels points froids

L’IRINT, ou Infrared Intelligence, est une sous-catégorie du renseignement technique qui se concentre sur la collecte, l’analyse et l’exploitation des signatures infrarouges émises par des objets, des installations ou des activités. Il repose sur la détection des rayonnements infrarouges, c’est-à-dire des ondes électromagnétiques dont la longueur d’onde est comprise entre la lumière visible et les micro-ondes. Tous les objets émettent naturellement un rayonnement infrarouge proportionnel à leur température : c’est ce principe qui permet, par exemple, de repérer des véhicules, des installations industrielles, des moteurs en fonctionnement ou des activités humaines même dans l’obscurité ou sous un couvert végétal. Les capteurs IRINT peuvent être embarqués sur des satellites, des avions, des drones ou des plateformes terrestres, et sont capables de cartographier des zones étendues, de détecter des anomalies thermiques ou de suivre des mouvements en temps réel.

Concrètement, l’IRINT est utilisé pour :  

  • Détecter des concentrations de troupes ou de véhicules grâce à la chaleur dégagée par les moteurs ou les corps humains, même de nuit ou sous camouflage.  
  • Surveiller des sites industriels ou militaires pour repérer des activités inhabituelles (démarrage de réacteurs, essais de missiles, fonctionnement d’usines sensibles). 
  • Localiser des tirs de missiles ou d’artillerie en identifiant la signature thermique du lancement. 
  • Appuyer la planification d’opérations spéciales en fournissant une cartographie thermique précise du terrain.

L’IRINT présente de nombreux avantages : il permet une surveillance discrète, insensible aux conditions de luminosité, et offre une capacité de détection même face à des tentatives de camouflage visuel. Cependant, il connaît aussi des limites : la météo (nuages, pluie, brouillard) peut atténuer les signaux infrarouges, et la discrimination entre cibles d’intérêt et sources naturelles de chaleur nécessite des algorithmes avancés et une expertise humaine.

L’IRINT est une composante essentielle du renseignement technique moderne, apportant une vision « thermique » du champ de bataille ou des zones d’intérêt stratégique, complémentaire des autres moyens d’observation et d’analyse. Son intégration dans les chaînes de renseignement militaire permet d’améliorer la détection, la surveillance et la compréhension des activités adverses, au service de la supériorité informationnelle et de la prise de décision opérationnelle.


TELINT (Telemetry Intelligence)

Le TELINT, ou Telemetry Intelligence (renseignement de télémétrie), est une branche spécialisée du MASINT (Measurement and Signature Intelligence) qui se concentre sur l’interception, l’analyse et l’exploitation des signaux de télémétrie émis par des systèmes d’armes, des engins spatiaux, des missiles ou d’autres dispositifs technologiques lors de leur fonctionnement ou de leurs essais. Contrairement à l’ELINT, qui vise principalement les émissions électroniques non communicantes comme les radars, le TELINT cible spécifiquement les flux de données techniques transmis à distance pour surveiller et contrôler les performances d’un appareil en temps réel.

Les signaux de télémétrie contiennent une multitude d’informations cruciales : paramètres de vol, données de propulsion, températures, pressions, vitesses, altitudes, statuts des sous-systèmes, etc. Ces données sont émises par des capteurs embarqués et transmises à une station de contrôle ou à un centre de mission, généralement via des liaisons radio spécialisées. Pour les agences de renseignement, intercepter ces signaux permet de reconstituer le comportement d’un missile, d’un satellite ou d’un véhicule spatial, d’en déduire les performances réelles, les innovations technologiques, voire de détecter des faiblesses ou des limitations cachées.

Le TELINT a joué un rôle central pendant la Guerre froide, notamment lors des essais de missiles balistiques ou de lancements spatiaux soviétiques et américains. Les puissances adverses déployaient des stations d’écoute, des navires spécialisés ou des satellites pour capter les signaux de télémétrie émis lors des tests. L’analyse de ces données permettait d’évaluer la portée, la précision, la fiabilité et la sophistication des nouveaux armements, contribuant ainsi à la planification stratégique et à la course aux armements.

Aujourd’hui, le TELINT reste une discipline clé pour la non-prolifération et la surveillance des programmes d’armement : il permet de vérifier le respect des traités internationaux, de surveiller les progrès technologiques de puissances émergentes et de détecter d’éventuels essais clandestins. Les progrès en traitement du signal, en cryptanalyse et en intelligence artificielle facilitent désormais l’extraction et l’interprétation de données même lorsque les flux de télémétrie sont chiffrés ou dissimulés dans des bandes de fréquences inhabituelles.

Le TELINT n’est pas limité au domaine militaire : il est également utilisé dans l’industrie spatiale civile pour surveiller les satellites, les sondes interplanétaires ou les lanceurs, et pour anticiper ou comprendre les défaillances techniques. Cependant, dans le contexte du renseignement, la capacité à intercepter et à analyser la télémétrie d’un adversaire reste un atout stratégique majeur, car elle offre un accès direct à des informations techniques que la cible cherche généralement à protéger.


ACOUSTINT (Acoustic Intelligence)

L'intelligence acoustique ACOUSTINT  (ACOUSTINT fluides non compressibles, ACINT fluides compressibles) est une discipline qui collecte et traite les phénomènes acoustiques. L'analyse à large bande est généralement utile pour identifier un navire à longue distance, tandis que l'analyse à bande étroite est généralement plus utile pour identifier la catégorie, le type et le nom du navire.

Cette imagerie illustre le diagramme de rayonnement qui serait observé à une distance de cent mètres du sous-marin. Pour l'illustrer, une flèche a été dessinée dans la direction générale dans laquelle le son se déplace. Il est important de noter que le signal diffusé à cette fréquence présente des lobes complexes et est extrêmement dépendant de la position.

L’ACOUSTINT est particulièrement crucial dans le domaine naval, où il permet de détecter, d’identifier et de suivre les sous-marins, navires de surface ou torpilles grâce à leurs signatures acoustiques uniques. Chaque bâtiment, en effet, génère une empreinte sonore spécifique liée à ses moteurs, hélices, équipements embarqués ou même à la circulation de fluides à bord. Les capteurs utilisés, tels que les hydrophones, les réseaux de sonobuoys ou les microphones directionnels, sont capables de capter ces sons, parfois à des centaines de kilomètres de distance, et de les transmettre à des centres d’analyse où des algorithmes sophistiqués permettent de distinguer, classifier et localiser les cibles potentielles.

Au-delà du milieu sous-marin, l’ACOUSTINT trouve également des applications dans la surveillance aérienne et terrestre. L’analyse des bruits de moteurs d’avions, de véhicules terrestres ou d’installations industrielles peut fournir des indices précieux sur la nature, le nombre et les mouvements d’unités adverses. Dans certains cas, l’acoustique permet même de détecter des tirs d’armes ou des explosions, d’en localiser l’origine et d’estimer la puissance ou le type d’armement utilisé.

L’intérêt stratégique de l’ACOUSTINT réside dans sa capacité à fournir des renseignements difficiles à masquer ou à falsifier, car la production de bruit est souvent inévitable lors de l’utilisation de systèmes complexes. Cette discipline permet ainsi d’anticiper les mouvements ennemis, de protéger ses propres forces contre les menaces sous-marines ou aériennes, et de soutenir la prise de décision tactique et stratégique. Les progrès récents en traitement du signal et en intelligence artificielle renforcent encore l’efficacité de l’ACOUSTINT, permettant une détection plus fine et une analyse automatisée des signatures sonores dans des environnements de plus en plus bruyants et complexes.

L’ACOUSTINT est donc une composante essentielle du renseignement moderne, exploitant la richesse des signatures acoustiques pour surveiller, identifier et comprendre les activités adverses, aussi bien sous l’eau, dans les airs que sur terre.


NUCINT (Nuclear Intelligence)


Le NUCINT, ou renseignement nucléaire, est une discipline qui s'occupe d'enquêter, d'acquérir et d'analyser toutes les données relatives au secteur nucléaire. De la surveillance de la consommation énergétique civile à l'espionnage des armes militaires, les services de renseignement ont pour mission d'assurer la sécurité des nations et des alliances auxquelles elles appartiennent.

Le NUCINT repose sur l’utilisation de capteurs sophistiqués capables de détecter différents types de rayonnements (alpha, bêta, gamma, neutroniques) et d’enregistrer leurs caractéristiques, telles que l’intensité, la durée, la nature spectrale ou la localisation géographique des émissions.

L’un des objectifs majeurs du NUCINT est la surveillance des essais nucléaires, qu’ils soient souterrains, atmosphériques ou sous-marins. Les capteurs nucléaires, installés dans le cadre de réseaux internationaux comme ceux de l’Organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE), permettent de détecter à distance les explosions nucléaires grâce à l’analyse des ondes sismiques, des émissions radioactives ou des signaux infrasons associés. Le NUCINT joue également un rôle clé dans la non-prolifération nucléaire : il permet d’identifier des activités suspectes, de surveiller la production ou la manipulation de matières fissiles, et d’alerter en cas de fuite ou de trafic illicite de matériaux radioactifs.

Le renseignement nucléaire s’appuie sur une variété de techniques : prélèvements d’air pour détecter des isotopes radioactifs, analyse des eaux et des sols, surveillance satellitaire des installations sensibles, ou encore exploitation d’images hyperspectrales pour repérer des modifications dans les infrastructures. Ces méthodes sont complétées par des analyses de laboratoire permettant d’identifier la nature exacte des substances détectées et de remonter à leur origine.

Le NUCINT n’est pas seulement un outil de vérification des traités internationaux : il est aussi utilisé pour la protection des forces armées, la gestion des crises nucléaires (accidents industriels, incidents terroristes), et la préparation de contre-mesures en cas d’attaque radiologique. Sa valeur stratégique est renforcée par la difficulté de dissimuler totalement une activité nucléaire : même les opérations les plus secrètes laissent des traces mesurables, exploitables par des capteurs adaptés.

Le NUCINT constitue donc une composante essentielle du renseignement technique moderne, permettant de surveiller, d’anticiper et de réagir face aux menaces nucléaires, qu’elles soient d’origine militaire, industrielle ou terroriste. Grâce à l’évolution des capteurs et des méthodes d’analyse, il joue un rôle croissant dans la sécurité internationale et la prévention des crises majeures.


Exemple avec application concrète


Le MASINT (Measurement and Signature Intelligence) permet d’exploiter les émissions électromagnétiques involontaires produites par les composants électroniques d’un ordinateur, tels que le processeur, la mémoire, les câbles ou l’écran. Ces émissions, qualifiées de rayonnements compromettants, peuvent être captées à distance et analysées pour extraire des informations sensibles, comme des mots de passe, des clés de chiffrement ou des données confidentielles, sans qu’il soit nécessaire d’accéder physiquement à la machine. Ce type d’attaque, connu sous le nom de Van Eck phreaking, illustre parfaitement l’application concrète du MASINT dans le domaine de la cybersécurité d’entreprise.

Équipement utilisé pour accéder à un autre ordinateur portable dans une pièce adjacente.
Source : Université de Tel Aviv

Dans un scénario typique, un attaquant équipé d’une antenne radio, d’un oscilloscope ou même d’un smartphone modifié, capte les fluctuations du champ électromagnétique générées par l’activité interne de l’ordinateur, notamment lors des échanges de données entre le processeur et la mémoire RAM. Ces signaux, émis dans des bandes de fréquences allant du kilohertz au mégahertz, peuvent être interceptés à plusieurs mètres de distance, parfois même à travers les murs ou les cloisons.

L’analyse de ces émissions révèle des motifs caractéristiques liés à l’activité de la machine. Par exemple, les cycles d’horloge du processeur produisent des signatures distinctes, tout comme les opérations de chiffrement (RSA ou ElGamal), qui génèrent des pics d’activité électromagnétique lors des calculs modulaires. Même les mouvements de la souris ou les frappes clavier laissent des empreintes détectables dans le spectre électromagnétique. En 2014, des chercheurs ont démontré qu’il était possible, en mesurant simplement les fluctuations du potentiel électrique de la masse d’un ordinateur (par un fil relié au châssis), d’extraire des clés RSA 4096 bits ou ElGamal 3072 bits en quelques secondes, et ce même à travers des câbles Ethernet ou USB.

La communauté scientifique et technique a largement documenté ces attaques : la norme TEMPEST, par exemple, définit les exigences de blindage et de sécurisation des équipements pour limiter les fuites électromagnétiques et protéger les données sensibles. Les travaux académiques sur les attaques par canaux auxiliaires montrent que de simples sondes électromagnétiques, associées à des algorithmes d’analyse avancés (SEMA, DEMA, CEMA), suffisent à reconstituer des clés cryptographiques ou à intercepter des informations confidentielles.

Pour les entreprises, le risque est réel : une fuite de données sensibles (clés SSH, mots de passe, documents stratégiques) peut survenir sans trace apparente ni intrusion logicielle. Les contre-mesures recommandées incluent le blindage électromagnétique des équipements (boîtiers métalliques, câbles torsadés), l’utilisation d’algorithmes de chiffrement résistants aux attaques par canaux auxiliaires, et la surveillance proactive du bruit électromagnétique dans les locaux sensibles grâce à des détecteurs de fuites conformes aux standards TEMPEST.

Un cas réel illustre la menace : en 2023, le groupe Octo Tempest a combiné ingénierie sociale et analyse des émissions électromagnétiques pour cibler des administrateurs système, exploitant des failles dans les politiques d’authentification multifacteur et accédant à des données critiques. Cet exemple souligne que la sécurité physique et la maîtrise du spectre électromagnétique sont désormais aussi essentielles que la cybersécurité logicielle pour protéger les actifs informationnels d’une entreprise.

En définitive, le MASINT, en révélant ces « fuites invisibles », impose aux entreprises de repenser leur sécurité globale : il ne suffit plus de protéger les systèmes contre les attaques logicielles, il faut également se prémunir contre les risques liés aux rayonnements matériels et aux émissions involontaires des équipements électroniques.



Pour aller plus loin...


Il existe de nombreuses autres sous-catégories dans le renseignement par la mesure et signature. Nous proposons ici de donner une liste non-exhaustive de termes que l'on peut rencontrer lors de recherches :
  • RF/EMPINT : Radio Frequency / Electromagnetic Pulse Intelligence - regroupe la collecte et l’analyse des signatures radiofréquences et des impulsions électromagnétiques. 
  • LASINT : Laser Intelligence - est dédié à la détection, l’identification et l’analyse des émissions laser, qu’elles soient utilisées pour le télémétrage, la désignation d’objectifs, la communication optique ou les armes à énergie dirigée.
  • RINT : Unintentional Radiation Intelligence - concerne l’exploitation des émissions électromagnétiques involontaires, générées par les équipements électroniques (ordinateurs, câblages, alimentations, etc.). Ces émissions, souvent appelées « rayonnements compromettants », peuvent révéler des informations sensibles sur le fonctionnement d’un système ou le contenu de données traitées
  • CBINT : Chemical and Biological Intelligence - regroupe le renseignement issu de la détection, de l’identification et de l’analyse des agents chimiques et biologiques. Cette discipline s’appuie sur des capteurs spécialisés, des prélèvements environnementaux, des analyses en laboratoire et des outils de biosurveillance
  • DEWINT : Directed Energy Weapons Intelligence - se concentre sur les armes à énergie dirigée, telles que les lasers de forte puissance, les micro-ondes à haute énergie ou les armes à ondes millimétriques.
  • ELECTRO-OPTINT : Electro-optical Intelligence - traite du renseignement issu de l’analyse des émissions, réflexions ou absorptions dans le spectre électro-optique : ultraviolet, visible, infrarouge. 

Ces sous-catégories du MASINT témoignent de la diversité des phénomènes physiques et technologiques exploitables pour le renseignement moderne. Elles offrent des outils puissants pour la détection, la caractérisation et la prévention des menaces, qu’elles soient militaires, terroristes, technologiques ou environnementales, et s’intègrent de plus en plus dans des dispositifs de veille globale, de sécurité et de résilience nationale.


Conclusion

Le MASINT (Measurement and Signature Intelligence) se distingue comme une discipline du renseignement à la fois discrète et essentielle, capable de révéler l’invisible là où les approches classiques atteignent leurs limites. À l’image de l’écholocation des dauphins ou des baleines, le MASINT permet de « voir » et de comprendre l’environnement en analysant des signatures physiques et chimiques imperceptibles à l’œil nu ou à l’oreille humaine : variations du champ magnétique, émissions acoustiques, radiations, signatures thermiques ou encore ondes sismiques.

Cette capacité unique offre un avantage déterminant dans la détection et la caractérisation d’objets ou d’événements cachés, qu’il s’agisse de sous-marins furtifs, de missiles en vol, de tests nucléaires clandestins ou d’activités illégales en mer.

Les exemples concrets abondent : lors du naufrage du sous-marin russe Kursk en 2000, l’analyse acoustique le MASINT a permis de reconstituer la chronologie de l’explosion et d’identifier la cause du drame, fournissant des éléments clés à l’enquête internationale. 

Mosaïque d'images Sentinel-1A et Sentinel-1B collectées les (a) 13 et 14 octobre 2019 (deux jours après la marée noire), (c) 22 octobre 2019 (12 jours après la marée noire), (e) 25 octobre 2019 (15 jours après la marée noire). Les panneaux (b,d,f) sont les mêmes que (a,c,e), sauf qu'ils utilisent une ligne rouge foncé pour indiquer le contour de la marée noire.

De même, lors de la marée noire provoquée par le Sabiti en 2019, les capteurs infrarouges et satellites le MASINT ont suivi en temps réel la dispersion de la nappe d’hydrocarbures, facilitant l’organisation des secours et la gestion de la crise environnementale. Dans la lutte contre la contrebande maritime, le MASINT a permis de repérer des transferts illicites de cargaisons entre navires nord-coréens et tankers étrangers, en détectant des anomalies dans les signatures radar et les trajectoires de navigation. Même face à la piraterie au large de la Somalie, l’analyse des émissions radio non conventionnelles a permis d’anticiper des attaques et de protéger les convois marchands.

Au-delà de la sécurité, le MASINT joue aussi un rôle crucial dans la surveillance environnementale : il détecte les pollutions marines, suit les variations de température des océans et alerte sur des incidents industriels majeurs, comme ce fut le cas après la catastrophe de Deepwater Horizon. Dans des contextes de « guerre grise », où les menaces sont diffuses et les frontières entre civil et militaire brouillées, le MASINT s’impose comme un outil de veille stratégique, capable de déceler des comportements anormaux, de confirmer ou d’infirmer des soupçons, et d’apporter des preuves difficilement contestables.

Enfin, l’intérêt du MASINT réside dans sa capacité à s’intégrer à d’autres sources de renseignement (SIGINT, IMINT, HUMINT), à enrichir la compréhension globale d’une situation et à soutenir la prise de décision en temps réel. À l’ère de l’intelligence artificielle et de l’automatisation, MASINT continuera d’évoluer, offrant des analyses toujours plus précises et réactives, et consolidant sa place au cœur des dispositifs de sécurité et de résilience, qu’il s’agisse de protéger des ressources stratégiques, de sécuriser des routes maritimes ou de surveiller la militarisation de zones sensibles comme l’Arctique ou la mer de Chine méridionale.


Sources


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