Le SIGINT, ou Signals Intelligence, désigne le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM en français), c’est-à-dire l’ensemble des méthodes et moyens permettant d’intercepter, de collecter et d’analyser les signaux électroniques émis dans l’environnement, qu’il s’agisse de communications humaines, de signaux radar, de télémesures ou d’autres émissions techniques. Cette discipline occupe une place centrale dans le renseignement moderne, tant pour la sécurité nationale que pour les opérations militaires, la lutte contre le terrorisme, la cyberdéfense ou encore la prévention des crises internationales.
Le SIGINT se divise en plusieurs sous-catégories principales, dont certaines ont déjà fait l'objet d'un article dédié pouvant être consulté en suivant le lien approprié :
- COMINT (Communications Intelligence), qui concerne l’interception et l’analyse des communications échangées entre individus ou groupes, qu’il s’agisse de conversations téléphoniques, de messages radio, d’e-mails ou de communications numériques.
- ELINT (Electronic Intelligence), qui porte sur l’analyse des signaux électroniques non communicants, tels que les émissions radar, les signaux de brouillage, de navigation ou de guidage de missiles.
- FISINT (Foreign Instrumentation Signals Intelligence), qui s’intéresse aux signaux de télémétrie et de contrôle issus d’essais de missiles, de satellites, de sondes spatiales ou d’autres dispositifs technologiques avancés.
Le processus SIGINT suit une chaîne opérationnelle structurée : planification et orientation des besoins, recueil des signaux, traitement et exploitation (démodulation, décodage, décryptage), analyse et production de renseignement, diffusion aux décideurs et intégration dans la planification stratégique ou opérationnelle. Les systèmes SIGINT utilisent des capteurs sophistiqués (antennes, récepteurs, systèmes SDR), des logiciels d’analyse avancés, et de plus en plus l’intelligence artificielle pour traiter les volumes massifs de données générés par l’environnement électromagnétique moderne.
L’importance stratégique du SIGINT se manifeste par sa capacité à fournir des informations en temps réel sur les intentions, les capacités et les mouvements des adversaires. Il permet d’anticiper les crises, de détecter les menaces (préparation d’attaques, mouvements de troupes, cyberattaques), de localiser des émetteurs ennemis, d’identifier des vulnérabilités et de soutenir la prise de décision militaire ou politique. Par exemple, dans le conflit russo-ukrainien, le SIGINT a joué un rôle déterminant pour anticiper l’invasion, cibler les unités adverses et surveiller les communications sur le champ de bataille.
Cependant, le SIGINT fait face à plusieurs défis contemporains : la complexification et le chiffrement croissant des communications, la densité du spectre électromagnétique, la nécessité de respecter les cadres juridiques nationaux et internationaux, ainsi que les questions éthiques liées à la vie privée et à la surveillance de masse. Les agences doivent trouver un équilibre entre efficacité opérationnelle, respect des droits fondamentaux et contrôle démocratique, tout en innovant sans cesse pour suivre l’évolution rapide des technologies de communication et des contre-mesures adverses.
Le SIGINT est donc une discipline clé du renseignement moderne, reposant sur l’interception et l’analyse des signaux électromagnétiques, et jouant un rôle crucial dans la sécurité, la défense et la compréhension des menaces dans un monde de plus en plus numérisé et interconnecté.
La France et le SIGINT
La France dispose d’une panoplie d’outils militaires de pointe pour le SIGINT (renseignement d’origine électromagnétique), combinant des plateformes aéroportées, des satellites, des capteurs terrestres et des systèmes d’analyse avancés. Ces moyens permettent de collecter, d’analyser et d’exploiter les signaux de communication (COMINT) et les signaux électroniques non communicants (ELINT) pour fournir un avantage stratégique et opérationnel aux forces armées.
1. Plateformes aéroportées : du C-160 Gabriel à ARCHANGE
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Crédits : © Jean-Luc Brunet / Armée de l'air |
Historiquement, la France a utilisé les avions Transall C-160G Gabriel, véritables fer de lance du SIGINT depuis 1989. Dotés de multiples antennes, d’un radome ventral et de pods ASTAC pour l’analyse du spectre électromagnétique, ces appareils étaient capables d’intercepter et de traiter en vol des communications (COMINT), des signaux radar (ELINT) et d’autres émissions électromagnétiques. Les opérateurs à bord pouvaient analyser en temps réel les communications, localiser et identifier des radars ou des systèmes de défense adverses, et traiter les communications cryptées ou satellitaires.
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Tweet du 26 mars 2025 depuis le compte X officiel du Ministère des Armées https://x.com/Armees_Gouv/status/1904843814805643542 |
À partir de 2027-2029, le programme ARCHANGE (Avion de Renseignement à CHArge utile de Nouvelle GEnération) prendra le relais. Il repose sur l’intégration de la suite CUGE (Capacité Universelle de Guerre Électronique), développée par Thales, à bord d'au moins trois Falcon 8X modifiés par Dassault Aviation. Le système CUGE permettra de détecter et d’analyser simultanément les signaux radar et les communications, avec des antennes multipolarisation et des capacités d’intelligence artificielle pour automatiser le traitement des données. Ce bond technologique offrira une capacité accrue de surveillance, de recueil et d’analyse SIGINT pour les forces françaises.
2. Capacité spatiale : la constellation CERES
Depuis novembre 2021, la France s’est dotée de la constellation CERES (Capacité de Renseignement Électromagnétique Spatiale), composée de trois satellites militaires dédiés au SIGINT. Unique en Europe, ce système permet de détecter, localiser et caractériser les émissions radar et télécommunications sur une large gamme de fréquences, partout dans le monde, de jour comme de nuit et par tous les temps. CERES offre une couverture globale et la capacité d’accéder à des zones inaccessibles aux capteurs terrestres ou aéroportés, renforçant ainsi l’autonomie de décision et la souveraineté stratégique française.
3. Capacité navale
La France dispose également de deux navires spécialisés dans le SIGINT au sein de la Marine nationale, qui jouent un rôle clé dans la collecte du renseignement d’origine électromagnétique depuis la mer : le Dupuy-de-Lôme et le Monge.
Le Monge (A601), quant à lui, est un bâtiment d’essais et de mesures (BEM) également utilisé pour des missions de collecte de renseignement électromagnétique. Bien qu’il soit principalement dédié au suivi des essais de missiles et à la télémétrie (TELINT), il est aussi doté de capacités d’interception et d’analyse de signaux sur tout le spectre électromagnétique, contribuant ainsi aux missions SIGINT de la Marine nationale. Le Monge n'est pas vraiment un vaisseau SINGINT. C'est un vaisseau d'instrumentation de la portée des missiles et un vaisseau de surveillance de l'activité spatiale, mais grâce à son radar incroyablement puissant, il peut très probablement suivre presque n'importe quoi dans les airs et dans l'espace.
Ces deux navires complètent le dispositif français de SIGINT, aux côtés des plateformes aéroportées (C-160 Gabriel, ARCHANGE), des satellites CERES et des stations terrestres, en offrant une capacité de recueil mobile, discrète et persistante dans les zones maritimes stratégiques. Leur présence permet à la France de surveiller, d’anticiper et de réagir face aux menaces émergentes, tout en assurant une autonomie stratégique et une capacité de renseignement indépendante au plus haut niveau.
4. Systèmes d’analyse et de traitement
Les informations collectées par ces plateformes sont traitées par des spécialistes du renseignement :
- Les intercepteurs linguistes analysent les communications pour le COMINT (traduction, identification des réseaux, détection de menaces).
- Les opérateurs techniques traitent l’ELINT, identifiant et localisant les radars, systèmes de défense et autres émissions adverses.
- Les communications chiffrées ou satellitaires sont prises en charge par des spécialistes du COMINTECH, qui exploitent les signaux non traités par les linguistes.
5. Intégration et innovation
Tous ces moyens sont intégrés dans une chaîne de renseignement qui combine recueil, traitement, analyse et diffusion des informations aux décideurs militaires et politiques. L’utilisation de l’intelligence artificielle, de bases de données partagées et de systèmes d’automatisation permet d’accélérer l’exploitation et d’améliorer la pertinence du renseignement fourni.
Compromis entre sécurité et sûreté de l'entreprise, et respect des données personnelles des collaborateurs
L’un des défis majeurs auxquels sont confrontés les employeurs dans la mise en place du SIGINT (renseignement d’origine électromagnétique) au sein de l’entreprise réside dans la recherche d’un équilibre entre, d’une part, la nécessité de protéger l’organisation contre les menaces cyber et, d’autre part, le respect des droits fondamentaux des collaborateurs, notamment leur vie privée et la confidentialité de leurs activités professionnelles.
La protection de l’entreprise implique souvent la mise en place de dispositifs de surveillance du réseau, de l’analyse des flux de données et de la détection d’anomalies pouvant signaler une attaque ou une fuite d’informations sensibles. Ces mesures, rendues indispensables par la sophistication croissante des cybermenaces, permettent de prévenir les intrusions, de détecter les comportements suspects et de réagir rapidement en cas d’incident. Toutefois, elles soulèvent inévitablement la question de la proportionnalité : jusqu’où l’employeur peut-il aller dans la surveillance sans porter atteinte à la vie privée de ses salariés ?
Le cadre juridique, notamment le RGPD et le Code du travail, impose à l’employeur d’informer clairement les collaborateurs sur l’existence et la finalité des dispositifs de surveillance. La transparence est ici essentielle : une majorité de salariés se montre compréhensive à l’égard de mesures de sécurité, à condition qu’elles soient expliquées, justifiées et limitées à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. À l’inverse, une surveillance perçue comme arbitraire ou intrusive peut générer un climat de défiance, nuire à la motivation et à la confiance au sein des équipes.
Tout est donc question de mesures proportionnées et parfaitement communiquées.
Par ailleurs, la gestion des données collectées grâce au SIGINT doit répondre à des exigences strictes de sécurité et de confidentialité. Il est impératif de limiter l’accès à ces données, de les anonymiser ou pseudonymiser autant que possible, et de s’assurer qu’elles ne soient pas utilisées à des fins de contrôle individuel injustifié. Les autorités de protection des données, comme la CNIL en France, veillent particulièrement à ce que les dispositifs mis en place respectent le principe de minimisation des données et la protection des droits des personnes concernées. Au niveau européen, la CEDH est intervenue sur des abus constatés chez certains employeurs : La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rappelle régulièrement que toute surveillance sur le lieu de travail doit se conformer à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit au respect de la vie privée. Dans l’affaire López Ribalda c. Espagne (2019), la CEDH a estimé que l’installation de caméras cachées dans un supermarché était illégale, l’employeur n’ayant pas prouvé qu’il n’existait pas de solution moins intrusive pour atteindre son objectif.
Pour concilier ces impératifs, il est recommandé à l’employeur de procéder à une analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD), d’impliquer les instances représentatives du personnel (CSE) dans la définition des dispositifs de surveillance, et de privilégier des outils techniques qui permettent une détection des menaces à un niveau agrégé, sans intrusion dans les contenus personnels des collaborateurs.
En définitive, le véritable challenge pour l’employeur est de garantir une sécurité efficace de l’entreprise, tout en maintenant un environnement de travail respectueux des droits et libertés de chacun. Cela passe par un cadrage juridique et éthique rigoureux, une communication transparente, et une utilisation mesurée et ciblée du SIGINT, afin d’éviter que la protection de l’organisation ne se transforme en surveillance généralisée des individus.
Conclusion
Le SIGINT, ou renseignement d’origine électromagnétique, occupe aujourd’hui une place stratégique dans la sécurité et la sûreté des entreprises. Face à la sophistication croissante des cybermenaces, la capacité à intercepter, analyser et comprendre les signaux électroniques – qu’il s’agisse de communications humaines (COMINT) ou d’émissions techniques (ELINT) – permet aux organisations de détecter en amont des comportements suspects, des tentatives d’intrusion ou des fuites de données. Grâce au SIGINT, les équipes de cybersécurité peuvent surveiller en temps réel le trafic réseau, identifier des anomalies, repérer des schémas d’attaque et réagir rapidement avant que les dommages ne surviennent.
Au-delà de la détection des menaces, le SIGINT contribue à la prévention des incidents en renforçant la connaissance des vulnérabilités du système d’information et en permettant une veille active sur les modes opératoires des attaquants. L’analyse des signaux peut également servir à localiser des appareils compromis, à retracer la chronologie d’une attaque ou à surveiller la surface d’attaque externe de l’entreprise, ce qui est essentiel pour anticiper les risques liés à la fuite d’informations sensibles ou à l’espionnage industriel.
Par ailleurs, l’intégration du SIGINT dans une démarche globale de gestion des risques favorise la collaboration entre les équipes techniques, les responsables de la sécurité et les décideurs, afin d’élaborer des stratégies de protection adaptées et évolutives. Cependant, l’efficacité du SIGINT repose sur la mise en place de dispositifs techniques avancés, la définition d’objectifs clairs et le respect des cadres légaux et éthiques relatifs à la vie privée et à la confidentialité des communications.
En conclusion, le SIGINT s’impose comme un pilier incontournable de la cybersécurité moderne. Il offre aux entreprises la capacité de surveiller, d’anticiper et de contrer les menaces, tout en renforçant la résilience de leurs systèmes et la protection de leurs actifs stratégiques dans un environnement numérique en perpétuelle évolution.
Sources
https://archives.defense.gouv.fr/dga/actualite/lancement-reussi-des-trois-satellites-ceres.html
https://www.defense.gouv.fr/marine/forces-surface/batiment-recherches-electro-magnetiques
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