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lundi 27 janvier 2025

Auteur - Citations - Stanley MILGRAM

Stanley Milgram, psychologue américain, a bouleversé notre compréhension de l’obéissance avec son ouvrage « Soumission à l’autorité ». Dans les années 60, il a mené une expérience choquante où des participants ordinaires infligeaient des « chocs électriques » à un acteur sur ordre d’un expérimentateur. Résultat stupéfiant : 62 % des sujets ont obéi jusqu’au bout, malgré les cris de douleur simulés. Milgram a ainsi démontré que des personnes banales peuvent commettre des actes cruels sous l’influence d’une autorité perçue comme légitime. Son livre analyse en profondeur les mécanismes de l’obéissance et de la résistance, soulevant des questions éthiques cruciales sur la responsabilité individuelle face au pouvoir. Cette étude, toujours d’actualité, nous rappelle la fragilité de notre morale et l’importance de rester vigilant face à l’autorité.


Stanley Milgram, né le 15 août 1933 à New York, est l’un des psychologues sociaux les plus influents du XXe siècle. Sa carrière académique remarquable l’a mené de Queens College à Harvard, où il a obtenu son doctorat en 1960, puis à Yale et à la City University of New York.


L’expérience sur l’obéissance à l’autorité

C’est à Yale, entre 1960 et 1963, que Milgram a conduit sa célèbre expérience sur l’obéissance à l’autorité. Inspiré par le procès d’Adolf Eichmann et cherchant à comprendre les mécanismes psychologiques derrière l’Holocauste, Milgram a conçu une étude qui allait bouleverser notre compréhension du comportement humain.

Dans cette expérience, des participants étaient amenés à infliger des chocs électriques apparemment douloureux à un « apprenant » (en réalité un acteur) sur ordre d’une figure d’autorité. De manière stupéfiante, environ 65 % des participants ont obéi jusqu’à administrer ce qu’ils croyaient être des chocs potentiellement mortels.

Impact et controverses

La publication des résultats en 1963 a déclenché une onde de choc dans la communauté scientifique et au-delà. L’expérience de Milgram a mis en lumière la facilité avec laquelle des individus ordinaires peuvent commettre des actes cruels sous l’influence de l’autorité, remettant en question les notions fondamentales de moralité individuelle et de responsabilité.

L’ouvrage « Obedience to Authority: An Experimental View », publié en 1974, a approfondi ces découvertes et est devenu un classique de la psychologie sociale. Depuis sa publication, l’expérience de Milgram a continué d’influencer profondément notre compréhension du comportement humain en société.


Héritage et réflexions contemporaines

L’héritage de Milgram perdure bien au-delà de sa mort prématurée en 1984. Ses travaux ont inspiré des générations de chercheurs et ont trouvé des applications dans des domaines aussi variés que l’éthique médicale, le management et l’étude des génocides.

Récemment, des analyses d’archives ont révélé des nuances supplémentaires dans les résultats de Milgram. Par exemple, de nombreux participants ont exprimé des inquiétudes morales et ont tenté de subvertir l’expérience, suggérant une dynamique plus complexe entre obéissance et résistance.

Implications éthiques et méthodologiques

L’expérience de Milgram a également soulevé d’importantes questions éthiques sur la recherche en psychologie. Elle a conduit à l’établissement de normes plus strictes pour la protection des participants aux études, influençant durablement la pratique de la recherche en sciences sociales. En effet, la notion moderne de stress psychologique issu de l'experience a semble-t-il été sous-estimée et le suivi psychologique non systématisé à l'ensemble des individus ayant participés à l'experience.

En conclusion, l’œuvre de Stanley Milgram, et en particulier son expérience sur l’obéissance à l’autorité, demeure un pilier de la psychologie sociale moderne. Elle continue d’alimenter les débats sur la nature humaine, l’éthique et la responsabilité individuelle face aux structures de pouvoir, démontrant la pertinence durable de ses découvertes dans notre compréhension des dynamiques sociales contemporaines.

Citations

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 10

« De même que l’autorité de l’oppresseur n’est pas incarnée dans un seul individu, mais dans un système de relations complexes, de même la résistance à l’autorité malveillante doit être enracinée dans l’action collective si elle veut être véritablement efficace. C’est pourquoi l’image de l’individu solitaire confronté à une autorité - image que mon expérience crée pour les besoins de mes investigations - est une distorsion illusoire de la façon dont les choses fonctionnent dans le monde réel. Car, à moins que l’individu puisse intégrer ses actions dans une communauté élargie qui lui fournira un support, il y a de fortes chances pour qu’il demeure un velléitaire d’une totale inefficacité ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 17 

« De 1933 à 1945, des millions d’innocents ont été systématiquement massacrés sur ordre. Avec un souci de rendement comparable à celui d’une usine de pièces détachées, on a construit des chambres à gaz, gardé des camps de la mort, fourni des quotas journaliers de cadavres. Il se peut que des politiques aussi inhumaines aient été conçues par un cerveau unique, mais jamais elles n’auraient été appliquées sur une telle échelle s’il ne s’était trouvé autant de gens pour les exécuter sans discuter ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 28

« Les tyrannies sont perpétuées par des hommes timorés qui n’ont pas le courage de vivre à la hauteur de leurs idéaux. Maintes fois, nos sujets ont blâmé leur façon d’agir, mais il leur manquait les ressources nécessaires pour traduire leurs valeurs morales en actes. [...] Sur le plan psychologique, il est facile de nier sa responsabilité quand on est un simple maillon intermédiaire dans la chaîne des exécutants d’un processus de destruction et que l’acte final est suffisamment éloigné pour pouvoir être ignoré ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 29

« Mais dès lors qu’est apparue la division du travail, les choses ont changé. Au-delà d’un certain point, l’émiettement de la société en individus exécutant des tâches limitées et très spécialisées supprime la qualité humaine du travail et de la vie. L’individu ne parvient plus à avoir une vue d’ensemble de la situation, il n’en connaît qu’une parcelle et se trouve donc dans l’incapacité d’agir sans directive émanant de l’autorité supérieure. Il se conforme à la volonté de celle-ci, mais de ce fait, il se désolidarise de ses propres actions ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 133

« Ces expériences confirment un fait essentiel : le facteur déterminant du comportement est l’autorité bien plus que l’ordre en soi. Les ordres qui n’émanent pas d’une autorité reconnue perdent toute leur force. Les tenants de la théorie selon laquelle les pulsions agressives ou les instincts sadiques de l’homme se libèrent dès que l’ordre de faire souffrir autrui leur donne l’occasion doivent prendre en considération le refus catégorique des sujets dans ces trois expériences. Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’ils font, mais, mais pour qui ils le font ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 140

« L’essence même d’un système d’autorité viable est que l’individu reçoit les directives d’un supérieur légitime et les exécute dans un domaine bien défini. Clarté et cohérence des ordres sont les conditions minimales pour qu’un tel système fonctionne. S’ils se révèlent contradictoires, le sujet s’efforce de découvrir qui est le chef et lui obéit. En l’absence de tout élément de base lui permettant de prendre cette décision, l’action ne peut avoir lieu : il y a une incohérence à la source même. Pour s’exercer pleinement à tous les stades de son parcours, l’autorité ne doit pas présenter de contradictions ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 141

« En effet, la nature même du système hiérarchique implique que l’action soit prescrite sans ambiguïté par la personne possédant le statut le plus élevé. Ce degré de supériorité peut être minime : si insignifiant soit-il, il existe. De même que l’adjonction d’un grain de sable sur l’un des plateaux d’une balance en équilibre suffit à faire pencher le fléau, de même un infime supplément d’autorité peut déterminer l’action de la façon la plus absolue. Il ne saurait exister de solution de compromis.
Tout système d’autorité doit se fonder sur l’agencement soigneusement calculé des individus à l’intérieur d’une hiérarchie. La perception du contrôle qui détermine l’action dépend de la clarté de la réponse apportée à la difficile question : Qui est au-dessus de qui ? Le degré de supériorité importe beaucoup moins que la présence d’une structuration rigoureuse ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 146

« L’obéissance résulte des inégalités dans les relations humaines et elle les perpétue, ce qui explique que, sous sa forme la plus poussée, elle constitue le mécanisme régulateur idéal du fascisme. Il est rigoureusement logique que la doctrine philosophique d’un gouvernement fondé sur le principe de l’inégalité élève l’obéissance au rang de vertu cardinale. L’attitude de la soumission inconditionnelle est inculquée dans le cas d’une structure sociale hiérarchique et a pour conséquence la différenciation d’un comportement entre supérieur et subordonné. Ce n’est pas l’effet du hasard si la marque distinctive du Troisième Reich était l’importance qu’il attachait aussi bien au concept des groupes supérieurs et des groupes inférieurs qu’à l’obéissance à l’appui et exécution instantanée des ordres ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 153 

« Tout directeur compétent d’un système bureaucratique chargé de l’application d’un programme destructeur doit organiser les divers éléments qui le composent de façon que seuls les individus les plus cruels et les plus obtus soient directement impliqués dans la violence finale. La majeure partie du personnel peut consister en hommes et femmes qui, étant donné la distance qui les sépare de l’aboutissement inéluctable du processus, n’éprouvent pratiquement pas de difficultés à accomplir leurs tâches secondaires. Ils se sentent doublement dégagés de toute responsabilité. D’une part l’autorité les couvre complètement, ils ne commettent personnellement aucun acte de brutalité physique ».

Stanley Milgram, Soumission à l'autorité, p. 167 

« Un individu est en état agentique quand, dans une situation donnée, il se définit d’une façon telle qu’il accepte le contrôle total d’une personne possédant un statut plus élevé. Dans ce cas, il ne s’estime plus responsable de ses actes. Il voit en lui un simple instrument destiné à exécuter les volontés d’autrui. »

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 173

« La perception de l’autorité se trouve liée aux conditions ou elle s’exerce et ne se prolonge pas obligatoirement en dehors des limites. L’autorité s’appuie sur des normes : nous admettons volontiers que dans certaines situations, un contrôle social soit exercé par un personnage représentant l’autorité. [...] La puissance de l’autorité ne vient pas des caractéristiques personnelles de celui en qui elle s’incarne, mais de la clarté de sa perception dans une structure sociale ».

 Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 216

« C’est précisément une explication du comportement à l’intérieur de telles hiérarchies que notre enquête expérimentale cherche à découvrir. Après tout, Eichmann était noyé dans une organisation sociale légitime et, de son point de vue, il s’acquittait consciencieusement de sa tâche. En d’autres termes, le sujet de notre investigation est l’obéissance non pas chez les opprimés qui y sont contraints par la crainte du châtiment, mais ceux qui se soumettent de leur plein gré parce que la société leur a donné un rôle et qu’en conséquence, ils sont motivés par le désir de se montrer capables de l’assumer entièrement ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 222

« Dans les démocraties, les dirigeants sont élus par tous les citoyens, mais une fois en poste, ils sont investis de la même autorité que ceux qui y parviennent par d’autres moyens. Et comme nous avons eu maintes fois l’occasion de le constater, les exigences de l’autorité promue par la voie démocratique peuvent elles aussi entrer en conflit avec la conscience. L’immigration et l’esclavage de millions de noirs, l’extermination des Indiens d’Amérique, l’internement des citoyens américains d’origine japonaise, l’utilisation du napalm contre les populations civiles du Vietnam représentent autant de politiques impitoyables qui ont été conçues par les autorités d’un pays démocratique et exécutées par l’ensemble de la nation avec la soumission escomptée. Dans chacun de ces cas, des voix se sont élevées au nom de la morale pour flétrir de telles actions, mais la réaction type du citoyen ordinaire a été d’obéir aux ordres ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 232

« Il arrive aux hommes d’agir sous l’emprise de la colère ; ils commettent alors des actes odieux et se laissent aller à de véritables accès de fureur contre autrui. Rien de tel dans notre expérience. Ce qu’elle nous révèle est autrement dangereux ; c’est la faculté qu’a l’homme de dépouiller son humanité et, pis encore, l’inéluctabilité de ce comportement quand il renonce à son individualité pour devenir partie intégrante d’une des structures hiérarchiques de la société. C’est là un vice de constitution inhérent à la nature humaine et lourd de conséquences funestes, car, à long terme, il ne laisse à notre espèce que peu de chance de survie ».

Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, p. 233

« Pour le promoteur de l’expérience, les résultats obtenus en laboratoire sont perturbants. Ils incitent à penser qu’on ne peut faire confiance à l’homme en général ou, plus spécifiquement, au type de caractère produit par la société démocratique américaine pour mettre ses concitoyens à l’abri des cruautés et des crimes contre l’humanité dictés par une autorité malveillante. A une très grande majorité, les gens font ce qu’on leur dit de faire sans tenir compte de la nature de l’acte prescrit et sans être réfrénés par leur conscience dès lors que l’ordre leur parait émaner d’une autorité légitime ».

Stanley Milgram, Soumission à l'autorité, p. 377

« J’observai un homme d’affaires équilibré et sûr de lui entrer dans le laboratoire, souriant et confiant. En moins de vingt minutes il fut réduit à l’état de loque parcourue de tics, au bord de la crise de nerfs. Il tirait sans arrêt sur le lobe de ses oreilles et se tordait les mains. À un moment il posa sa tête sur son poing et murmura : « Oh mon Dieu, faites qu’on arrête ! » Et pourtant il continua à exécuter toutes les instructions de l’expérimentateur et obéit jusqu’à la fin. »

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