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jeudi 19 septembre 2019

Tribune - Le devoir du citoyen dans la Nation


"C'est la gloire de la France d'avoir, par la Révolution française, proclamé qu'une Nation existe par elle-même." indiquait Ernest Renan dans son fameux discours donné à la Sorbonne en 1882. On voit malheureusement que près de 140 ans plus tard, ce concept de Nation française s’effrite, s’éventre, s’évapore. Les notions de devoirs du citoyen ne sont plus identifiées ni reconnues par les individus qui constituent le décorum de la société française actuelle. Cette tribune souhaite rappeler ce qui fait le creuset de la Nation française, ce qui constitue son plus grand défi sous peine de risquer sa déliquescence, voire son implosion.


Le concept de Nation nécessite, pour exister, une activité du citoyen dans la vie publique, et par conséquent une implication régulière et continue dans ce qui fait la chose publique. Ernest Renan continuait sa définition en écrivant : "Qu'est-ce que la volonté d'une Nation ? C'est le résultat des volontés individuelles, comme la Nation est l'assemblage des individus. Il est impossible de concevoir une association légitime qui n'ait pas pour objet la sécurité commune, la liberté commune, enfin la chose publique." Mais qui dit volonté, soutant le principe d’une certaine implication émotionnelle et intellectuelle cohérente à minima entre individus qui la composent. S’il n’y a pas une dynamique citoyenne qui régisse le débat comme la vie publique et qui l’enrichisse, la Nation ne pourra survivre. Ernest Renan poursuit "L'existence d'une Nation est un plébiscite de tous les jours."

Cette idée maîtresse qui lie la Nation a son peuple est constamment présente dans la pensée du Général de Gaulle. Selon lui, la Nation étant « l’ensemble des Fils de la Nation Personne » est constituée par son peuple qui acquiert une légitimité irréfragable. Il ne peut exister de Nation que dans sa dimension populaire appuyée par une dynamique démocratique, sous sa signification la plus étymologique possible. D’être tous des Fils égaux de la Nation « France », les français sont également considérés comme des citoyens rassemblés dans leur communauté nationale. Cette communauté trouve sa cohérence et sa structure via l’action de l’Etat, qui entretient le sens de la Patrie et qui se donne les moyens de sa souveraineté.

Concomitamment au Général de Gaulle, Simone Weil fait également écho à Ernest Renan en exposant en 1947 sa vision : « Le véritable esprit de 1789 consiste à penser non pas qu'une chose est juste parce que le peuple la veut, mais qu'à certaines conditions le vouloir du peuple a plus de chances qu'aucun autre vouloir d'être conforme à la justice », écrit-elle dans sa Note sur la suppression générale des partis. Il existe donc une seule légitimité et c’est bien celle du peuple, comme somme individuelle d’individus pensants, et non pas comme groupe agrégé dans des partis qu’elle voit comme liberticides plutôt que le terreau d’idées nouvelles : « Les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice. » La légitimité d’une démocratie semble donc passer exclusivement et directement par le peuple et non par ses représentants ou son gouvernement. Ils ne sont en effet qu’une représentation donnée à un instant donné. La démocratie représentative est finalement un contre-sens parce que dans un état représentatif, le peuple ne peut agir que par ses représentants, ce qui induit de fait, que le peuple se tait pendant que ses représentants gouvernent. La Nation encourt donc le risque constant que ces derniers ne représentent plus la volonté intrinsèque du premier !

Pour Camille Desmoulins comme pour Rousseau d’ailleurs, pour lequel il est essentiel que le peuple ne se défasse jamais de sa souveraineté, une démocratie strictement représentative n’est pas une démocratie ; il ajoute que les citoyens ont le droit de priver leurs représentants de tout pouvoir, comme bon leur semble, « car il appartient de destituer à celui qui a institué et il est l’essence du mandat d’être révocable à volonté. C’est le peuple qui est souverain, pas l’Assemblée ».
A tant vouloir rendre la démocratie représentative, les individus qui composent la Nation deviennent passifs, se vident de toute conscience politique et ne s’intéressent plus à la chose publique qu’ils délèguent…

A moins de donner un nouveau souffle vigoureux à sa vie, l’individu citoyen se doit de lutter contre l’oppression qu’il subit de facto, car demeurer passif signifie devenir complice de sa condition de servitude. C’est la vision d’Etienne de la Boétie dans son « Discours de la servitude volontaire » datant de 1576 qui écrit « C'est donc que nous ne sommes pas seulement nés dans l'indépendance, mais encore que nous avons pour mission de la défendre. » Ceci nécessite encore une fois une implication active du citoyen dans sa Cité.

A l’image de la fable de la Fontaine intitulée « Le Chien et Le Loup », ou l’auteur nous décrit la rencontre du loup affamé discutant avec le chien souffrant d’un certain embonpoint. Le chien lui narre avec délectation tous les mets auxquels il a droit et toutes les douces attentions dont il bénéficie quotidiennement. Mais le loup, voyant soudainement le col du chien pelé, s’interroge de cette bien curieuse affaire. Le chien lui confirme qu’il demeure attaché nuit et jour.
Le loup fait brusquement demi-tour et court toujours en liberté…
Cette liberté dont il jouit, il la paye chaque jour par son activité, son implication dans la recherche de nourriture, sa chasse en meute qui peut s’apparenter à une nécessité de cohésion sociale et de collaboration de groupe.

Ernest Renan rappelait que : "Chez un Peuple accoutumé à la servitude, on peut laisser dormir les vérités ; mais si vous excitez l'attention, si vous avertissez de faire choix entre elles et l'erreur, l'esprit s'attache à la vérité, comme des yeux sains se tournent naturellement vers la lumière. »
A tant se dessaisir de son droit de citoyen, on finit par en oublier son devoir et ne plus exercer d’action citoyenne, seule capable de garantir la liberté de chacun. Dans la conception du peuple qui est celle de De Gaulle, la liberté de ce peuple est en effet une et indivisible, tant dans son acception d’ensemble des Fils de la Mère-Patrie, que dans celle de communauté des citoyens. Dans cette optique, la nation est aussi la libre réunion de libres citoyens - réaffirmant, dans son achèvement, le lien organique de la nationalité avec la citoyenneté : la démocratie selon de Gaulle paraît réclamer, dans son entière réalisation, la nation comme cadre de développement, de la même façon qu'une nation correctement entendue ne peut perdurer comme réalité effective, que sous une forme démocratique : souveraineté nationale et souveraineté populaire ne sont jamais que les deux faces de la même réalité.

La France doit donc se réveiller et les citoyens, au-delà des revendications légitimes, doivent repenser leur action politique et leur implication afin de se réapproprier le débat public de manière continue, profonde et cohérente. Le débat ne doit pas être seulement dans la rue mais dans toute activité citoyenne ! Loin des partis, il doit reprendre la forme d’une véritable pensée politique individuelle.  Certes, il est difficile de penser : Presque partout l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à l’obligation de la pensée ! C’est une lèpre qui a pris son origine dans les milieux politiques, et s’est étendue à travers tout le pays, presque sur la totalité de la pensée citoyenne.

Il est urgent de penser par soi-même et ainsi de sortir d’une servitude subie volontairement par paresse et facilité. Suivant le principe connu du use-it-or-lose-it, on ne peut que rappeler que la démocratie est un instrument qui ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !


Sources :


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