Jacques Driencourt explore dans son ouvrage publié en 1950 « La propagande, nouvelle force politique » l’importance croissante de la propagande au XXe siècle, qu’il considère comme une technique scientifique influençant profondément les sociétés modernes. Le livre analyse comment la propagande, autrefois seulement congrue à un art rudimentaire, est devenue un outil systématique, dirigé grâce aux avancées technologiques comme l’imprimé, le cinéma et la radio. Driencourt met en lumière le rôle de la propagande dans les bouleversements politiques majeurs, tels que le bolchevisme et le nazisme, et souligne son efficacité à manipuler les masses tout en leur donnant l’illusion d’une liberté démocratique. L’auteur insiste également sur l’impact psychologique de la propagande, qui exploite les mécanismes humains pour façonner une nouvelle réalité sociale et politique.
Introduction
La vérité nous paraît être que la propagande est essentiellement un instrument de mobilisation intellectuelle. Driencourt n’a d’ailleurs pas manqué dans son ouvrage de noter que son développement était lié aux grands conflits de l’histoire — nous rappelons que l’ouvrage est écrit en 1950. La guerre fait tout accepter et quand les corps endossent l’uniforme, les esprits doivent le revêtir : la rébellion ici est peut-être vaine ou criminelle, mais la glorification l’est tout autant.
L’utilisation du mot « masse » a servi d’abord à critiquer ceux qui n’étaient pas dans la classe dirigeante et on l’a chargé d’une valeur revendicative. On voudrait nous faire croire que la « masse » est une réalité sociale homogène préexistante, soudée dans une communion naturelle, alors qu’elle n’est que le résultat monstrueux de la propagande qui l’a rassemblée, sédimentée, fabriquée et neutralisée ainsi en détruisant en chacun la conscience individuelle.
L’idée maîtresse pour l’auteur est de faire converger des pensées individuelles vers une pensée de masse, unique et uniforme.
La propagande : définition et utilité
Le début de l'ouvrage de Jacques Driencourt décrit les différents mécanismes de propagande qui sont en cours en France, en Allemagne, et en Union soviétique. Bien entendu ces mécanismes d'influence sur la population ont des objectifs différents qu'il s'agisse d'un pays libre ou d'une dictature. L'avènement de la Seconde Guerre mondiale va d'ailleurs précipiter l'Europe dans un mécanisme de propagande de guerre ou l'Allemagne nazie va tirer parti de sa puissante propagande pilotée par Joseph Goebbels. Le seul salut communicationnel en 1940 et pendant quatre ans, va être la BBC anglaise, qui permettra de contrebalancer les mécanismes propagandistes nazis institués par leur propre organe de pouvoir totalitaire. La BBC devient pendant la guerre une véritable institution européenne, capable de galvaniser la volonté de résistance des peuples occupés, le speaker du monde libre opposé à la domination nazie. Elle permet aux nations occupées de garder un lien avec l'univers démocratique.
« La propagande règne, triomphe. Tout est propagande. Elle imprègne tout, elle déforme tout. C'est désormais en fonction de la propagande que l'on pense, que l'on agit et que l'on réagit. Le règne contemporain de la propagande est un fait. C'est une caractéristique d'une nouvelle forme de civilisation. Les historiens de l'avenir diront que le XXe siècle fut le siècle de la propagande ».
La propagande est principalement une capacité à convaincre un groupe d'individus ou une opinion publique. Convaincre les hommes suppose la manipulation d'instruments compliqués, la connaissance de données scientifiques, la puissance de l'argent et le concours de spécialistes. La propagande, autrefois considérée comme un art rhétorique principalement, devient à l'époque moderne une technique scientifique en ce sens qu'elle repose sur des données statistiques précises et sur la connaissance de variable modélisant une topologie de population, un groupe d'individus ainsi que leur dynamique relationnelle. C'est une technique humaine de contrôle social. Elle est une des formes multiples de coercition sociale que l'homme a inventées et l'on peut facilement dire qu'elle est la plus subtile, donc la plus insidieuse. La propagande s'adresse à l'individu, mais vise le groupe social plus ou moins vaste dont il est membre et dont elle cherche à contrôler les pensées et les actes, comme à provoquer certaines réactions susceptibles d'avoir une conséquence voulue. Il s'agit donc, à travers la dynamique de groupes restreints ou de groupes étendus, de capturer et de modéliser cette dynamique afin d'actionner les meilleurs leviers sociologiques possibles pour étendre et cristalliser une opinion particulière, à un moment précis.
Enfin, la propagande s’inscrit dans une action immédiate. Elle n'a pas le temps d'expliquer un état, son objectif est de créer l'adhésion, de cristalliser une opinion. On pourrait presque parler de création d'un précipité, au sens chimique du terme, qui devient lentement majoritaire. Ces objectifs sont toujours clairement définis et son positionnement précis jusqu'à la caricature. Étant donné son caractère d'adhésion comme objectif final, la propagande peut être politique, commerciale, religieuse, voire publicitaire. Elle peut être étatique ou privée, interne à un pays ou à une culture ou orientée à l'international (exemple avec l'Internationale communiste).
L'auteur fait ici un parallèle entre propagande et éducation. Bien que différents, ces deux concepts possèdent des éléments communs quant à la présentation des faits et la volonté d'imprimer une vision commune à ses destinataires. Les deux concepts en effet sont consubstantiels à la notion d'objectivité des faits.
Enfin, en ce qui concerne la différence entre propagande et information, on peut indiquer que l'objet de l'information est de présenter des faits de manière non biaisée, et de façon totalement désintéressée ; alors que la propagande va potentiellement orienter les faits dans une direction facilitant une adhésion cognitive et toujours travailler son action de manière intéressée, puisque contingente à un but caché.
« Concluons en disant que la propagande est un fait caractéristique de la civilisation contemporaine. Elle est désormais une technique scientifique qui, tant par une action continuelle que par l'utilisation rationnelle et méthodique de certains moyens, a pour but de provoquer l'adhésion des masses à une idée ou à une doctrine, d'obtenir le soutien de leur opinion, voire de les engager dans une action déterminée ».
Les données psychopolitiques de la propagande
« Ainsi le fondement des actions humaines est l’instinct et le sentiment, non la logique et le raisonnement. Comme l’affirmait Spencer, le monde est gouverné par les sentiments auxquels les idées servent seulement de guides. Le mécanisme social repose non sur l’opinion, mais sur le caractère. On voit qu’on est très loin de ceux qui, avec Gustave Le Bon, affirment que les idées conduisent le monde, et l’on mesure le champ immense ouvert à la propagande pour conquérir la domination par l’exploitation scientifique des données du cœur humain ».
« La psychopolitique, comme elle l’a toujours été, mais plus que jamais, est la science de base d’une propagande devenue technique scientifique parce qu’elle ne fait qu’exploiter ses données : les résultats de l’étude systématique, analytique et métrique de la formation et de la propagation de l’opinion ».
L’auteur ici fait la distinction entre foule et rassemblement. La foule apparaît comme un groupe social statique, hétérogène et inconstant : elle n’est pas un instrument d’action. La masse prend de plus en plus d’importance dans la vie sociale contemporaine en tant que somme d’individus dispersés dans l’espace, mais placés à certains égards, dans des conditions et sous des influences semblables, ce qui les rend susceptibles d’être mus par un même vouloir, par le fait qu’ils sont soumis ensemble et en général simultanément à des moyens d’action qui, et touchant tous, éprouve chacun isolément.
« La foule a besoin de représentation concrète et assez primitive. D’où cette caractéristique fondamentale de la prédominance dans son comportement des manifestations de la vie affective sur la vie logique, prédominance qu’accompagne un grand nombre de caractères secondaires. C’est la substitution de l’instinct à la réflexion, de la nature à la raison. La foule est menée par la spontanéité, sans aucun sentiment de responsabilité ; elle est capable de violence et de férocité, d’intolérance et d’égoïsme, mais aussi d’enthousiasme et d’héroïsme, car cette mentalité entraîne une impulsivité irréfléchie, une tendance à l’action immédiate et à l’axe et à l’exagération, l’émotivité poussée jusqu’au fanatisme et la prédominance de l’instinct de combat. La foule ne peut rester longtemps statique et passive, elle veut avoir quelque chose à adorer ou à haïr ; elle veut se donner et réaliser quelque grand acte ».
« Il est indubitable qu’il existe deux catégories d’opinions dans un même individu. Il y a des opinions fondamentales ancrées très loin dans l’inconscient et correspondant à des convictions profondes, formant un ensemble solide et cohérent. Simultanément existent de nombreuses opinions superficielles et dissociées, instables et fragmentaires, opinions qui peuvent être passagères et même contradictoires. La première catégorie constitue, peut-on dire, le fond propre, la véritable personnalité intangible de l’individu ; la seconde est soumise à toutes les influences sociales, elle qui est susceptible d’intégrer des éléments de l’opinion publique. Certes il y a des opinions profondes, des personnalités qui sont semblables chez plusieurs individus mais il y a là une correspondance involontaire et naturelle, spontanée, tandis que c’est la tâche du propagandiste de constituer une opinion commune qui prenne place au nombre des opinions superficielles et indécises de chacun ».
La propagande va donc consister à mettre en relation cette conception profonde et superficielle des individus. Le rôle de la propagande consiste donc fondamentalement à cristalliser sur un point donné, les opinions superficielles de chacun, sans entrer en conflit avec les personnalités profondes, en agissant sur plusieurs leviers psychologiques. Pour chaque individu pris de manière atomique, un message particulier devra donc être distillé en prenant en compte les éléments structurants de sa pensée profonde, en s’appuyant sur ces ressorts profonds, et ses biais cognitifs propres, pour porter le message propagandiste avec la meilleure efficience possible.
Théorie et tactique de la propagande
« Cette conception de la propagande, qui est celle de Lénine, se présente comme techniquement parfaite. Elle est supérieure à celle de Hitler et de Goebbels pour lesquelles la propagande n’est qu’un procédé politique, empirique, pragmatique, destiné à supprimer toute opposition à sa source, quitte à ne plus être que terrorisme intellectuel. La tactique léniniste, au contraire, effectue la synthèse de l’action et de la pensée, sa propagande réalise les aspirations profondes de ceux qu’elle atteint en s’identifiant au mouvement dialectique de la lutte révolutionnaire pour le triomphe de la dictature du prolétariat et l’instauration de la société communiste ».
Dans cette partie de l'ouvrage, l’auteur compare de manière détaillée la stratégie propagandiste de Lénine avec celle de l’Allemagne nazie pilotée par Hitler et Goebbels. La propagande œuvrant à la dictature du prolétariat s’appuie systématiquement sur la classe paysanne et ouvrière, et souligne que l’action propagandiste doit s’opérer de manière continue et systématique afin de fournir les meilleurs résultats du côté de la propagande nazie. L’objectif est de monopoliser l’attention des individus, afin de fournir une communication continue pour la population et ainsi transformer chaque individu en agitateur politique passionné.
La propagande politique doit éveiller la masse par le moyen d’un discours extrêmement simpliste afin de maximiser l’effet sur chaque individu. Pour la consommation des masses, tout doit être coloré : ce qu’on leur présente comme bon doit avoir la couleur de l’or ; ce qu’on leur présente comme mauvais doit être noir comme l’ébène.
« Le propagandiste jouera d’abord sur les sens et sur l’imagination, par l’utilisation de symboles de tous ordres. Il agira aussi sur les instincts et suscitera des réflexes. Car la force motrice qu’il tend à faire naître et à diriger est de nature sentimentale. La propagande moderne se ramène en grande partie à une action sur les sentiments qui, on le sait, sont prépondérants dans le comportement collectif. […] On s’attachera à convertir un certain nombre d’adhérents en militant convaincus et passionnés autour desquels se soudera la masse des hésitants et des timides. On dépassera pour eux la simple affirmation pour arriver à la démonstration, on abandonnera le sentiment pour la logique afin de forger leurs convictions et d’armer leur ardeur. On agira aussi auprès de certaines personnalités influentes, sollicitant leur ralliement et leur appui, afin de faire peser leur renom de tout son poids en faveur de l’entreprise effectuée et de gagner par eux l’adhésion de certains groupes dont ils sont les leaders ».
La propagande comme instrument de combat des dictatures
Driencourt considère que la propagande est consubstantielle à l’État totalitaire. Elle devient nécessairement une fonction publique assumée par l’organisation étatique elle-même ou des institutions annexes placées sous la dépendance étroite de celle-ci. On peut dire, dans l’État autoritaire, que la tâche de formation de l’opinion nationale est devenue un véritable service public. Elle se retrouve au XXe siècle, en Europe, dans l’Italie fasciste, l’Allemagne nationale-socialiste, et dans L’URSS soviétique.
« Ainsi la propagande est-elle le seul moyen pour le chef de se faire accepter par le peuple autrement que par la violence, de lui faire connaître le programme à réaliser en fonction d’une doctrine officielle, en l’y faisant participer volontairement. […] la propagande, dans ce système, devient, dans l’ordre interne, une fonction politique obligatoire et constante. […] La propagande est donc, avec la violence, l’un des deux fondamentaux de l’État autoritaire. Il se reconnaît porteur d’un idéal, d’une conception de la vie et du monde qui est une véritable religion. Il est une personnalité politique complète. Il ne se contente pas d’assurer le bien-être matériel des individus, il veut leur former l’esprit, ils réalisent l’unité nationale autour d’un mythe et fait converger tous les efforts en fonction de lui, vers le but de son programme ».
Le peuple italien se prête mal à une propagande véritable. C’est un peuple latin porté à l’individualisme qui répugne toute forme de vie et de pensée collective. L’italien est un citoyen méditerranéen personnel et imaginatif, dont il est difficile de mobiliser l’esprit et de vouloir l’embrigader sous la bannière d’une idéologie unique. De plus, profondément chrétien il sera difficile de substituer une religion réelle par une religion propagandiste d’État. Le parti fasciste trouvait donc au départ un mauvais terrain pour mener une idéologie efficace.
L’Allemagne a contrario a toujours été un pays d’élection des formes de vie et de pensée imposées et collectives. Il a un besoin quasi biologique de constituer une masse compacte où chacun se sent plus riche du consentement de tous. Il a une sensibilité particulière aux idées et aux mythes. Rien d’étonnant que le national-socialisme ait triomphé comme un dogme et que le IIIe Reich se soit fondé comme une église. Le nazisme reste un modèle de la propagande scientifique totalitaire.
L’URSS était l’État autoritaire qui entreprit le premier, et dans un effort constant, le plus régulier et continu processus de propagande politique pour seconder quotidiennement la tâche du gouvernement central. Le génie d’organisateur et de propagandiste de Lénine n’y fut pas étranger : il forgeait déjà vingt ans avant, la révolution les armes psychologiques et pratiques qui devaient assurer son triomphe politique. Lénine avait l’avantage d’être puissamment aidé par le comportement naturel du peuple russe et par les conditions dans lesquelles se déroulait son action. La propagande communiste remporta une éclatante victoire en Russie en raison de la pauvreté et de la misère de son peuple, de sa simplicité et de son ignorance, en raison également de l’immensité du pays et de son primitivisme général.
Le communisme soviétique, véritable religion d’un pays athée possède ironiquement toutes les institutions et les caractères de l’apparat religieux. Il a son Dieu, Lénine, dont le cercueil de cristal est offert à la vénération des pèlerins de la Place Rouge, avec ses apôtres dont les écritures sont l’objet de gloses et d’exégèse. La doctrine nazie apparaît quant à elle bien plus comme un ensemble de mythes que comme une religion unique et totale. Alors que le bolchévisme est bien de nature mystique et que la révolution fasciste fut essentiellement empirique, la réussite nazie se voulait avant tout idéologique, rénovation spirituelle autant que politique. Hitler fut le prophète d’un dogme nouveau, d’une conception de la vie. Le national-socialisme se présentait pour rassembler les esprits désorienter, pour remplir un vide causé par la misère et le désespoir. Il s’agissait de greffer sur ce néant un soldatisme manichéen de la pensée totalitaire.
« Ainsi la propagande nationalise et socialise à la fois les masses. Elle est plus simple qu’une propagande de persuasion. Liée au soldatisme, elle est un système d’éducation, toute une pédagogie, une sorte de culture, à la fois simple dans ses formules et savantes dans l’emploi de ses méthodes, qui vise à enfermer les âmes dans un moule commun. C’est ce qu’on appelle armer moralement le peuple, ou, si l’on veut, amener l’individu à l’état de peuple. Pareils moyens ne sont que l’exacte contrepartie de l’anarchie intellectuelle engendrée par le nihilisme le plus total. Ils poursuivent une seule fin : l’action pure, l’activisme pour l’activisme, une sorte de dynamisme révolutionnaire sans frein ni limites. La propagande ne vaut que par son succès effectif. C’est une dictature spirituelle qui s’installe dans une détresse matérielle et intellectuelle totale ».
Synthèse du nationalisme et du socialisme l’idéologie nazie se réalise dans le concept fondamental du « Volk », de la nation conçue comme une réalité organique supra individuelle. L’homme ne s’appartient pas, il est dominé par la collectivité qui l’absorbe. Il n’y a pas de destinée individuelle, mais seulement une nécessité sociale qui impose aux citoyens l’obligation de servir la communauté et lui propose pour fin suprême de se sacrifier à elle. Il ne peut y avoir de liberté ou de droit individuel, car l’élément d’un tout ne saurait avoir de droit contre ce tout. L’individu tient tout de la société, il lui doit tout. Ses activités doivent être orientées vers elle, il n’est qu’un moyen et non une fin.
Le fascisme italien via le système mussolinien était avant tout un système d’action. La pensée n’intervenait que pour aider à la réalisation du programme. C’est une idéologie pratique et non une religion. La propagande ne fut, dans l’État fasciste, qu’un moyen empirique pour assurer la suprématie du régime à des fins politiques : unité et impérialisme. Son but était beaucoup plus de supprimer toute opposition à la réalisation d’un programme temporel précis que de faire adhérer tout un peuple à une religion séculière comme le nazisme ou surtout le marxisme. La propagande italienne fut une fonction étroitement politique et non pas une arme de prosélytisme.
L’activisme bolchévique de Lénine est piloté par l’édition de journaux colportés et repris dans les usines, les clubs d’ouvriers de manière souterraine et clandestine. À contrario c’est au grand jour que se fit la propagande fasciste ou nazie, orchestrant ainsi la conquête officielle du pouvoir.
En ce qui concerne l’avènement de la propagande nazie, c’est Goebbels qui s’en charge à partir de Berlin. On peut retrouver de manière détaillée un article exclusivement consacré à Goebbels en suivant ce lien. La conquête de l’État par la conquête des esprits et des âmes fut menée par les nazis d’une manière véritablement incroyable. Mêlant à la fois une organisation de réunions politiques et violence, sa technique étonnante d’efficacité est basée sur une utilisation systématique de tous les instruments disponibles à l'époque. Le parti nazi passe ainsi de 800 000 voix en 1930 à 6,5 millions de voix en 1933.
Afin de couvrir l’immense territoire de l’Union soviétique, la culture de l’écrit est essentielle. La propagande soviétique passe donc par l’impression de nombreux ouvrages de Gazette ou de journaux ouvriers. L’ensemble des publications collent systématiquement au dialecte local et couvre au global plus de 70 langues différentes à travers l’Union soviétique. Des bibliothèques sont créées absolument partout dans les usines, dans la moindre petite ville de campagne, et même dans les trains sillonnant le pays : c’est un prototype antique de réseau de communication moderne ! Le cinéma est également mis à contribution dans la propagande soviétique. Le film a pour mission d’illustrer aux yeux des masses la doctrine et la politique du parti. Durant la période de 1925 à 1930, de grands artistes acquièrent un renom mérité avec des chefs-d’œuvre tels que « Le cuirassé Potemkine » et « Octobre » d’Eisenstein, ou encore « La Mère » de Poudovkine.
L’idéologie nazie a également utilisé le cinéma comme moyen de propagande mais en connaissant un échec particulièrement important. L’accent a donc été mis sur la production radiophonique afin de toucher à un maximum d’individus en Allemagne. Ces différentes émissions radiophoniques eurent la mission de préparer les conquêtes politiques et militaires en menant contre les pays voisins une guerre psychologique conçue et développée scientifiquement pour annihiler leur volonté de résistance et les mettre à la merci de la brutalité germanique. De manière concomitante, l’objectif de la propagande nazie sur les ondes était d’exciter les minorités constituées pour aider, de l’intérieur, son action, et en leur communiquant les instructions adéquates.
Que ce soit dans l’Italie fasciste ou bien dans l’Union soviétique stalinienne, l’éducation est un élément central pour distiller l’idéologie totalitaire dans les esprits. Cet enseignement idéologique est complété en URSS par un enseignement supérieur communiste, théorique et pratique, destiné à former les militants, les propagandistes et les chefs du Parti. Il est donné dans les diverses universités et académies où l’on approfondit à la fois les principes du matérialisme dialectique et les méthodes d’agitation. On n’ignore pas aussi que les espoirs des partis communistes du monde entier y reçoivent la même formation, ce qui, à la fois, préserve l’orthodoxie marxiste dans le monde, unifie les méthodes pratiquées, et assure l’obéissance sans crainte de déviationnisme. Dans l’Allemagne nazie, le peuple ne pense pas, ou du moins, il ne prend pas conscience de ce qu’il pense. C’est le Führer qui, s’identifiant à la communauté nationale, exprime avec autorité les idées qui doivent être celles de cette communauté. L’ancienne culture fut systématiquement détruite, les livres interdits brûlés (autodafés de 1933 en Allemagne), et une tâche de reconstruction fut démarré. De l’art fut également mis à contribution pour endoctriner les esprits et sous toutes ses formes, spirituel matériel. Il fut systématiquement utilisé comme moyen de propagande, traduisant les idéaux et illustrant la politique officielle de l’État hitlérien.
Par sa culture politique, il lui fournit cette direction, l’aide et l’encouragement nécessaires, et il veille à ce que chaque œuvre mise en contact avec le public soit idéologiquement et esthétiquement orthodoxe. Le système scolaire disparut ainsi du IIIe Reich. L’éducation politique au service du nazisme le remplaçait.
C’est l’organisation allemande de la propagande fut la plus perfectionnée et la plus rationnelle. Elle fut réalisée dans la triple structure de la chambre de culture du Reich, du parti national-socialiste ouvrier allemand (NSDAP - Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei), et du ministère pour l’éducation du peuple et de la propagande. Mais ces trois piliers ne soutenaient qu’un seul édifice du fait de l’unité d’action des services du parti et des services de l’État. Ce sont en effet les mêmes individus qui sont placés à la tête des services correspondants du parti et de l’État-système d’union personnelle généralisé à tous les échelons dans le IIIe Reich.
« Mais pour les nationaux-socialistes, qui, en bons disciples de Clausewitz, ne voient dans la guerre que la continuation de la politique, la propagande est une arme de conquête qui commence à opérer dès la paix pour obtenir, à l’intérieur, le concours enthousiaste du peuple, et agir en dehors, chez les Alliés, les neutres et contre l’ennemi. Elle ne peut alors travailler efficacement que dans une atmosphère continuelle de tension et d’émotion et par l’alliance de la force, toujours justifiée en cas de nécessité nationale, et de la suggestion brutale. Elle est conçue et réalisée comme un instrument de lutte, dynamique et intolérant, ne laissant ni place ni droit au doute ou à l’indifférence, fondé seulement sur le fanatisme et le sectarisme. »
La propagande dans les démocraties
« Les États-Unis sont ainsi lancés aujourd’hui dans une entreprise de propagande à l’intérieur de leur propre pays et en dehors de leurs frontières. Elle est certes réalisée dans l’objectivité et la liberté qui sont les conditions essentielles de l’action démocratique, sous les réserves qui ont été notées au début de ce chapitre. Mais il est remarquable que ce soit la démocratie du monde la plus grande et la plus farouchement conservatrice qui ait, immédiatement après la victoire [de la Second guerre mondiale], adopté, la première et le plus ouvertement, une telle ligne de conduite. Voilà sans doute la meilleure preuve que l’on puisse donner de la nécessité d’une certaine forme de propagande devenue une fonction normale de tout État moderne. »« Les États-Unis sont, dit-on, le pays où l’opinion fait la loi. Elle est certes souveraine, elle est l’origine de toutes les institutions, des fonctions officielles, des décisions des dirigeants. Voilà le régime démocratique idéal. Théoriquement, hélas ! Car il ne faut pas oublier que l’opinion publique ne règne que dirigée, elle est incapable de se constituer elle-même. Et les États-Unis sont le pays où elle est la plus dirigée, en même temps qu’elle est la plus fantaisiste. Les Américains ont poussé la technique de la réclame et de la publicité à un point où il n’est guère possible de rivaliser avec eux. Convaincre son prochain est devenu chez eux une profession préparée par des études scientifiques. Elle ne peut manquer de s’exercer sur le terrain politique aussi bien que dans le domaine commercial ; son succès est facilité par la passivité naturelle d’un peuple qui ne demande qu’à être sollicité et dirigé à condition qu’on ne le lui dise pas, empêchant tout particularisme, n’oppose aucun obstacle à une action de masse. Si le libéralisme commande en maître aux États-Unis, l’individualisme de pensée ou de sentiment y est contre-nature. Pouvoir se dire un « mass man » équivaut à se qualifier de bon Américain. »
Conclusion
Le chef songe à perpétuer indéfiniment sa mémoire en faisant édifier des architectures symboliques et gigantesques, qu’elle soit de simples stèles ou obélisque, ou ces temples fameux et ces pyramides qui ne sont qu’une forme écrasante de propagande nécrologique. Des pharaons à la pyramide du Louvre de François Mitterrand, les symboles intemporels demeurent les mêmes.
L’ouvrage de Jacques Driencourt décrit dans un détail rare les mécanismes de propagande dans les États totalitaires. Il a notamment faire référence à l’Allemagne nazie, à l’Italie fasciste, ainsi qu’à la Russie soviétique, en décrivant différences et similitudes. Une autre partie de l'ouvrage est dédiée à la propagande au sein des États libéraux, qui cohabite, quant à elle, avec des courants propagandistes privés, symboles de contre-pouvoir. Même si l’objectif est différent quand on les compare aux États totalitaires, la propagande d'essence démocratique est toujours nécessaire comme contre-mesure d’influence, et elle est sociologiquement spécifique à chaque État. La Grande-Bretagne n’est pas la France qui n’est pas les États-Unis, et les leviers psychologiques sur lesquels elle s’appuie varie selon la topologie sociale des individus pris pour cible.
Il est donc illusoire de penser qu'il existe une propagande unique pour un type de système politique. A chaque époque, pour chaque pays, une stratégie de propagande doit être appliquée dans son contexte spécifique, et Jacques Driencourt a parfaitement décrit chaque attribut à utiliser de manière spécifique, et ce d'une manière extrêmement moderne pour son temps. Son ouvrage est donc une référence ultime dans la description des phénomènes propagandistes, au même titre que le sera en 1963 l'ouvrage de Jacques Ellul, Propagandes, soulignant la distinction entre la propagande politique et la propagande sociologique, qui résulte quant à elle du développement des sociétés de masse, et qui fera l'objet d'un article ultérieur.
Citations
« Les journaux ? Ils font eux-aussi de l'information subjective, dictée par l'intérêt des partis auxquels ils appartiennent, quand ce n'est pas celui de leurs éditeurs, autrement dit leur esprit de lucre ».
Jacques Driencourt, La propagande nouvelle force politique, p. 26
« Concluons en disant que la propagande est un fait caractéristique de la civilisation contemporaine. Elle est désormais une technique scientifique qui, tant par une action continuelle que par l'utilisation rationnelle et méthodique de certains moyens, a pour but de provoquer l'adhésion des masses à une idée ou à une doctrine, d'obtenir le soutien de leur opinion, voire de les engager dans une action déterminée ».
Jacques Driencourt, La propagande nouvelle force politique, p. 210
« Mais pour les nationaux-socialistes, qui, en bons disciples de Clausewitz, ne voient dans la guerre que la continuation de la politique, la propagande est une arme de conquête qui commence à opérer dès la paix pour obtenir, à l'intérieur, le concours enthousiaste du peuple, et agir en dehors, chez les alliés, les neutres et contre l’ennemi. Elle ne peut alors travailler efficacement que dans une atmosphère continuelle de tension et d'émotion et par l'alliance de la force, toujours justifiée en cas de nécessité nationale, et de la suggestion brutale. Elle est conçue et réalisée comme un instrument de lutte, dynamique et intolérant, ne laissant ni place ni droit au doute ou à l'indifférence, fondé seulement sur le fanatisme et le sectarisme ».
« La propagande politique, sous sa forme scientifique contemporaine, est une nécessité vitale de l'État autoritaire. Elle est pour lui le moyen de réaliser cette unanimité nationale qui est la condition de son existence, et elle se trouve en conséquence intégrée dans les institutions étatiques. [...] La propagande politique revêt, dans l'État libéral, un visage tout différent. Elle y est caractérisée essentiellement par le fait qu'elle n'est pas objet de monopole. Si aujourd'hui après la seconde guerre mondiale, elle est devenue presque partout une fonction étatique normale, elle n'est pas, dans les démocraties traditionnelles, le fait unique de l'État. La pensée de chacun n'étant pas collectivisée, son expression demeure libre. Il y a une propagande privée qui concurrence légalement celle du gouvernement, et elle est rendue possible et facile par le fait extrêmement important que les moyens de communication des nouvelles et des idées restent entre les mains des particuliers, du moins dans une certaine mesure suffisante pour que toutes les opinions puissent se faire jour avec des chances de succès comparables (eu égard aux moyens financiers dont elles disposent) ».
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