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vendredi 4 avril 2025

Quelle est la politique française en matière de santé au travail ? Le cas spécifique des RPS en 2025

Nous avions publié en janvier 2020 sur ce blog un article complet sur les risques professionnels et la politique française associée à la gestion de ces risques. Il peut être consulté en suivant ce lien. Malheureusement, les récentes études publiées sur le sujet nous montrent une dégradation encore plus forte au sein des entreprises françaises, avec notamment un très haut niveau des risques psychosociaux. Une récente étude datant d'avril 2025 indique même que 45 % des salariés français sont en détresse psychologique. L'individualisme au travail est présenté comme la première cause de ce triste constat.

Essayons de brosser en détail ici l'état des lieux de la situation en France et tentons de voir les causes d'une telle catastrophe. Entre politique publique et management désastreux, les explications sont variées, mais les causes majeures ont été historiquement identifiées.

Au cours des cinq dernières années, la France a mis en place plusieurs actions pour prévenir les risques professionnels, avec un accent particulier sur les risques psychosociaux (RPS) et la santé mentale des salariés. Voici un résumé des principales initiatives gouvernementales :


Renforcement du cadre législatif et administratif

Loi Santé au Travail (2022) : Cette loi a renforcé l'obligation pour les employeurs de documenter les risques professionnels, y compris psychosociaux, dans le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP). Ce document doit être conservé pendant 40 ans et inclure des actions de prévention adaptées à chaque entreprise.

Les services de santé au travail ont été renommés Services de Prévention et de Santé au Travail (SPST), avec une mission élargie pour inclure la prévention des risques professionnels, la désinsertion professionnelle, et la santé publique. Ell impose désormais la création de nouvelles visites médicales, notamment la visite de mi-carrière (vers 45 ans), la visite post-exposition pour les salariés exposés à des risques particuliers, et une visite de reprise après un arrêt maladie prolongé.

La loi entérine la création d'un passeport de prévention, qui recense les formations et certifications en santé et sécurité au travail obtenues par les salariés. Elle prévoit également une extension de la définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail pour inclure les comportements sexistes ou à connotation sexuelle ayant un caractère collectif.

Cette réforme marque un tournant dans la gestion des risques professionnels en France, avec une approche centrée sur la prévention primaire et une meilleure intégration entre santé publique et santé au travail.

Obligations des employeurs : Le Code du travail impose aux employeurs de veiller à la santé physique et mentale de leurs salariés, notamment en mettant en place des actions de prévention, d'information et de formation pour limiter les RPS (article L.4121-1).

Employeurs et syndicats critiquent le décalage entre l’adoption de la loi et l’entrée en vigueur effective de certaines mesures, retardées par l’attente de décrets d’application. La coordination entre les différents acteurs (SPST, Assurance Maladie, entreprises) reste complexe et peu lisible, ce qui freine une mise en œuvre efficace. Ces critiques soulignent une tension entre ambition législative et contraintes pratiques, avec un consensus sur la nécessité d'améliorer la gouvernance et les moyens alloués à la santé au travail.


Plans nationaux et campagnes ciblées


Plan Santé au Travail 2021-2025 (PST4) : Ce plan inclut un axe stratégique spécifique pour prévenir les RPS, en mettant l'accent sur la qualité de vie au travail et la prévention primaire des risques psychiques. Le PST4 est articulé autour de 4 axes stratégiques, 10 objectifs, 33 actions et 90 sous-actions. Il introduit pour la première fois des indicateurs stratégiques pour évaluer son impact. Il est décliné en Plans Régionaux de Santé au Travail (PRST) pour répondre aux besoins spécifiques des territoires.

Certains employeurs estiment que le PST4 alourdit leurs responsabilités administratives sans apporter suffisamment d’accompagnement concret, notamment pour les TPE-PME. La mise en œuvre des indicateurs stratégiques est jugée complexe et coûteuse pour des résultats non mesurables. Les syndicats critiquent quant à eux le manque de moyens alloués aux SPST pour déployer efficacement les actions prévues, notamment dans les secteurs à forte pénibilité. Ils regrettent une approche trop volontariste envers les employeurs, sans contraintes suffisantes pour garantir une application uniforme des mesures.

Au-delà des patrons et des syndicats, certaines autres parties prenantes, certains experts soulignent que le PST4 reste insuffisamment adapté aux évolutions rapides du monde du travail (télétravail, nouvelles technologies), malgré l’intégration de ces enjeux dans ses axes stratégiques.

En résumé, bien que le PST4 soit salué pour son ambition et son approche préventive, il fait face à des défis liés à sa mise en œuvre opérationnelle et à l’implication réelle des différents acteurs.

Plan pour la prévention des accidents graves et mortels (2022-2025) : Bien qu'axé sur les accidents physiques, ce plan inclut des mesures pour sensibiliser et former les travailleurs aux risques psychosociaux, particulièrement dans les secteurs à forte sinistralité comme le BTP et le transport. Le plan a été enrichi à mi-parcours (avril 2024) avec 11 nouvelles mesures, comme la prise en compte des vagues de chaleur et l’amélioration du suivi des victimes d’accidents graves.


Santé mentale comme priorité nationale

En 2025, la santé mentale a été déclarée Grande Cause Nationale. Cette initiative vise à sensibiliser les entreprises et à encourager des actions concrètes pour améliorer le bien-être mental des salariés.

La santé mentale touche près d’un Français sur cinq au cours de sa vie, avec 13 millions de personnes affectées chaque année par un trouble psychique. Les coûts associés en font le premier poste de dépenses de santé en France. Cette initiative répond à une demande croissante des professionnels du secteur et des associations pour une meilleure prise en charge et une sensibilisation accrue.

La Feuille de route santé mentale et psychiatrie (2018-2026) a mobilisé 3,3 milliards d’euros pour promouvoir le bien-être mental, prévenir la souffrance psychique et améliorer l’accès aux soins psychiatriques.


Actions spécifiques contre les RPS

La santé mentale a été désignée comme une priorité majeure par le gouvernement français. Cette démarche vise à sensibiliser la population, à déstigmatiser les troubles psychologiques et à renforcer les dispositifs de prévention et d'accès aux soins. Le Premier ministre Michel Barnier avait souligné l'impact des crises successives, notamment la pandémie de COVID-19, sur la santé mentale des Français, et avait insisté sur l'importance d'une mobilisation collective impliquant l'État, les entreprises, les associations et les collectivités locales.

Sensibilisation et formation : Des campagnes ont été menées pour former les managers à identifier et gérer les RPS. Les entreprises sont également encouragées à intégrer ces risques dans leur organisation du travail.

Aménagements organisationnels : Les mesures incluent l’adaptation des horaires de travail, la mise en place de dispositifs d’écoute confidentielle, et l’amélioration des conditions de travail pour réduire le stress et prévenir le burn-out.

Le gouvernement a lancé des campagnes visant à promouvoir la santé mentale au travail et à encourager les entreprises à investir dans la qualité de vie au travail (QVT). Ces campagnes incluent des actions pour prévenir le burnout, gérer le stress et renforcer l'engagement des salariés.

En 2025, les entreprises adoptent davantage d'outils numériques pour évaluer les RPS et offrir un soutien psychologique via des applications de méditation ou des plateformes dédiées au bien-être mental.


Soutien aux petites entreprises

Les effets des aides à la prévention sur la sinistralité font l’objet de très peu d’évaluations. De surcroît, la répartition du budget entre les régions n’est pas liée à la sinistralité locale. Enfin, la répartition des aides entre les secteurs d’activité ne dépend qu’imparfaitement de leur sinistralité. Comme nous l'avions souligné dans l'article de référence publié sur ce blog en 2020, la première action à entreprendre est de comprendre avant d'agir. Il semble que la Cour des Comptes se range ici à cette vision.

Des subventions spécifiques ont été allouées aux TPE-PME pour financer des équipements ou formations liés à la prévention des risques professionnels. Cependant, leur efficacité reste mitigée selon un rapport récent de la Cour des Comptes. Elle recommande d'ailleurs de réaliser des campagnes de sensibilisation visant les petites entreprises des secteurs les plus touchés par les accidents du travail et les maladies professionnelles et de rétablir l'obligation d’effectuer des visites de contrôle sur place, comme c'était le cas jusqu'en 2019.


Causes chroniques de l'augmentation des RPS en milieu professionnel

Nous avons mentionné de nombreuses actions entreprises par le Gouvernement français, visant à prévenir au maximum les risques psychosociaux. Une réponse très administrative a été apportée à ce problème, à travers l'établissement de nouvelles contraintes répondant partiellement au sujet, et alourdissant bon nombre d'entreprises de taille petite et intermédiaire.

Nous souhaitons faire un pas en arrière et revenir aux causes initiales qui ont d'ailleurs été largement présentées par le professeur Christophe Dejours devant une commission de l'Assemblée nationale en 2017.


Les travaux de Christophe Dejours, pionnier de la psychodynamique du travail, apportent en effet des éclairages fondamentaux sur les conséquences du mal-être au travail.

Dejours souligne que la souffrance au travail découle souvent de dysfonctionnements organisationnels, tels qu'une pression excessive liée à des objectifs irréalistes ou à une surcharge de travail ainsi qu'une organisation empêchant les salariés de produire un travail de qualité, ce qui engendre un sentiment d'inutilité et une perte de sens. Il met également l'accent sur l'évaluation individualisée des performances, qui favorise la concurrence entre collègues et détruit les solidarités, conduisant à un climat de méfiance et d'injustice.

Selon Dejours, le travail est intrinsèquement collectif : il repose sur la coopération, le soutien mutuel et la reconnaissance. La disparition progressive de ces éléments, souvent au profit d’une logique gestionnaire centrée sur les chiffres, provoque un isolement des individus et aggrave leur souffrance psychique. Cette fracturation du collectif empêche les salariés de trouver des ressources dans le groupe pour faire face aux difficultés, ce qui amplifie les pathologies liées au stress et au burn-out.

Selon le chercheur, le travail joue un rôle central dans la construction de l'identité sociale et personnelle. Lorsque les conditions de travail dégradées empêchent cette réalisation, cela conduit à une atteinte profonde à l’estime de soi, à des troubles psychologiques (anxiété, dépression) et parfois à des actes extrêmes comme le suicide. La reconnaissance du travail accompli est essentielle pour préserver la santé mentale. Son absence crée un sentiment d'injustice et exacerbe la souffrance.

Au-delà des impacts individuels (burn-out, troubles psychosomatiques), Dejours met en évidence les effets collectifs : baisse de productivité, absentéisme accru, détérioration du climat social et augmentation des conflits interpersonnels dans les entreprises.

Christophe Dejours insiste sur l’importance de repenser l’organisation du travail pour restaurer le sens, la coopération et la reconnaissance. Il appelle à créer des espaces d’échange où les salariés peuvent discuter librement des difficultés rencontrées dans leur activité professionnelle afin de prévenir la souffrance psychique. Force est de constater que le discours pourtant très clair du chercheur clinicien n'a pas été suivi de fait dans les entreprises, malgré de trop rares exceptions.


Résultats et défis persistants

Malgré ces efforts, les maladies psychiques d'origine professionnelle ont augmenté (+25 % en 2023), soulignant l'importance de poursuivre ces initiatives. Les attentes des salariés en matière de qualité de vie au travail restent élevées, avec une demande accrue pour un environnement sûr, une meilleure organisation du travail, et un climat social positif.

La France reste malheureusement dans une culture du curatif en matière de santé générale, et devrait accentuer ses efforts en matière de préventif, les actions de prévention ne représentant aujourd’hui que 2% du montant total du budget de la branche des accidents du travail et maladies professionnelles de l’assurance-maladie. 


Rappelons également qu'en 2021, la France affichait un taux d'accidents mortels de 3,3 pour 100 000 salariés, soit près du double de la moyenne européenne (1,8). Elle se classe parmi les pays les plus touchés d'Europe, derrière des pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas où ce taux est inférieur à 1. Les syndicats et experts dénoncent un manque d'efforts significatifs pour renforcer la sécurité au travail. Ils appellent à rétablir les CHSCT et à améliorer le contrôle des entreprises par les Carsat (Caisses d'Assurance Retraite et de Santé au Travail). L'augmentation des accidents mortels au travail en France souligne un défi persistant en matière de sécurité professionnelle. Bien que des plans comme le Plan pour la Prévention des Accidents Graves et Mortels (2022-2025) aient été mis en place, leur efficacité reste limitée face à l'ampleur du problème. 

Toutes les mesures décrites dans cet article témoignent d'une volonté croissante du gouvernement français d'intégrer la santé mentale dans les politiques de prévention au travail, tout en répondant aux défis spécifiques posés par les risques psychosociaux. Malheureusement, les subventions sont souvent mal distribuées, mal utilisées, et les outils de suivi peu mis en place, engendrant un manque d'efficience dans un sujet de politique de santé publique pourtant majeur ! La stagnation des maladies professionnelles et les chiffres catastrophiques des accidents mortels attestent d'un manque chronique de coordination au sein des différentes parties prenantes. Une mobilisation accrue des pouvoirs publics, employeurs et syndicats est nécessaire pour inverser cette tendance.


Sources

https://www.linfodurable.fr/sante/45-des-salaries-francais-sont-en-detresse-psychologique-50191

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-aides-de-la-cnam-la-prevention-des-risques-professionnels-une-efficacite-non

https://www.centre-val-de-loire.ars.sante.fr/lancement-de-la-campagne-nationale-parlons-sante-mentale-0

https://fr.statista.com/infographie/31546/accidents-du-travail-nombre-de-deces-pour-100-000-travailleurs-europe-france/

https://travail-emploi.gouv.fr/4e-plan-sante-au-travail

https://www.fonction-publique.gouv.fr/la-dgafp/les-grandes-reformes/plan-sante-au-travail-dans-la-fonction-publique-et-developpement-du-teletravail


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