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dimanche 15 octobre 2017

Quels sont les différents courants terroristes présents au Moyen-Orient et en Afrique?

Il est difficile de cartographier l'ensemble des associations terroristes en Afrique et au Moyen-Orient tant leurs mouvances sont complexes à appréhender et volatiles à travers le temps. Il nous a paru néanmoins important de faire un rappel des organisations souvent citées en France par le monde politique et médiatique, afin de bien préciser leur contexte historique et géographique et lutter contre toute idée simpliste et électoraliste souvent utilisées par certains partis politiques.



Introduction


L'histoire du terrorisme est longue et ses formes, très variées. Depuis la fin de la guerre froide et le déclin du marxisme et du communisme, l'opposition armée sous sa forme islamique et djihadiste a pris le relais de la contestation du système tenue auparavant par les idéologies de l’extrême gauche radicale. En l'absence d'une motivation religieuse avérée, parfois même d'une simple connaissance de l'islam, il est fort probable qu'un certain nombre de ceux qui s'engagent, aujourd'hui, dans les rangs de l'EI, auraient pu être, hier, membres de groupuscules armés tels que les Brigades rouges italiennes, la Faction Armée rouge en Allemagne (die Rote Armee Fraktion) plus connue sous le nom de Bande à Badeer, ou encore du groupe Action direct en France.

L'année 1979 peut sans doute être choisie comme un point de départ du phénomène métastasique que représente le terrorisme islamique mondialisé. C'est en effet à la fois le basculement de l'Iran dans la Révolution islamique avec le renversement du Chah, et également le début de la guerre d’Afghanistan (1979-1989) qui enclenche la mécanique infernale nourrissant la machine à djihad. En effet, la prolifération des moudjahidines pendant les dix années qui suivirent, le démarrage de la guerre du Golf en Irak sont autant de braises que les occidentaux se sont obstinés à entretenir pour en voir malheureusement les catastrophiques effets des décennies plus tard.

S'ajoutant à cela, les économies des pays arabes fragilisées à la fin des années 90 ont contribué lentement mais surement à la mise en place d'une opposition islamiste d'abord marginalisée, ensuite durement réprimée un peu partout, étalant ainsi consciencieusement le terreau du terrorisme islamiste international. Les premières émanations ne tardèrent pas à se rependre au cours des années 1990 avec le GIA algérien puis, au cours des années 2000 avec l'organisation Al-Qaïda créée par Oussama ben Laden à la fin de la guerre d’Afghanistan. De plus, depuis 2011, on constate le même phénomène de basculement: la déception de l'après "Printemps arabe" semble aussi déstabilisante chez les jeunes de culture musulmane, et produit un mouvement aux tendances à la fois utopiste et terroriste. Le terrorisme islamiste possède certes des soubassements religieux et une dimension messianique qui le distingue des autres formes de terrorisme, mais comme les anarchistes ou indépendantistes des années 60 et 70, les combattants de l'EI considèrent aujourd'hui le terrorisme comme la meilleure stratégie leur permettant d'atteindre leur objectif politique de construction d'un Etat.

Au-delà de réaliser une liste sordide et mortifère de toutes les organisations terroristes d'Afrique et du Moyen-Orient, nous allons tenter ici de comprendre les mécanismes de contre-réaction occidentale qui nous mène inexorablement vers plus d'instabilité géopolitique, sauf si nous remplaçons notre vision court-termiste hébétée par une analyse du présent auquel nous sommes enchaînés, par une action de profondeur et d'éducation, tant envers nous-mêmes qu'envers les autres pays.


Quelle évolution s'opère actuellement sur les mouvances islamistes?


Comme brièvement énoncé dans l'introduction, le but de cet article est plutôt de fournir aux lecteurs une compréhension profonde de la dynamique terroriste en Afrique et Moyen Orient plutôt que de faire une liste exhaustive de toutes les mouvances présentes au Maghreb, en Afrique sub-saharienne et dans les pays du Moyen Orient. Un article dédié fera l'objet d'une étude du terrorisme au Proche Orient, avec entre autres une analyse détaillée du Fatah, du Hamas, et du Hezbollah.

Les avis divergèrent souvent sur la tendance ressentie dans l'évolution de l'activité terroriste dans le monde, et notamment sur les activités des groupes djihadistes salafistes. Une étude de l'organisation non-gouvernementale RAND (National Research Defense Institute) indique une progression constante du nombre de groupe salafistes-djihadistes entre 1988 et 2013.


Parallèlement à ce chiffre, il faut malheureusement aussi compter une rapide augmentation du nombre même de combattants salafistes-djihadistes pendant cette même période. On voit donc que malgré les politiques interventionnistes occidentales, la taille et la complexité de la nébuleuse terroriste ne cesse de croître dangereusement.


Néanmoins il faut nuancer l'impact terroriste et bien comprendre que l'essentiel des morts provoqués par des attaques terroristes a été réalisé dans des pays eux-mêmes musulmans et non pas dans l'Occident. Aujourd'hui, la médiatisation à outrance dans les pays occidentaux, associée au fait que les assaillants se réclament de référents religieux et qu'ils soient prêts à mourir, contribue également à la mythification des actions terroristes et de leurs auteurs.

Morts causées dans le monde par des attaques terroristes entre 2000 et 2015

En France par exemple, il faut rappeler qu'il a existé deux grandes vagues terroristes pendant les quarante dernières années. La première connue sous le nom des "années de plomb" (1970-1980) est marquée par l'action violente de groupuscules armés d’extrême gauche (Brigades rouges, Fraction armée rouge, Action directe). La seconde fait suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 et à l'invasion de l'Irak en 2003, est marqué par le terrorisme islamiste qui s'impose face au terrorisme indépendantiste (corse, basque, catalan, irlandais). Cette situation de crise sécuritaire liée à la menace terroriste n'est donc pas nouvelle en France et n'est pas non plus la plus violente qu'a connu le pays.

Voyons maintenant les principaux groupes terroristes responsables de la grande majorité des morts perpétués pendant des attentats ou des conflits armés moins ponctuels.


Les Frères musulmans


Préambule

La Société des Frères musulmans est une organisation religieuse et sociale considérée comme terroriste par l'Égypte (depuis 2013), l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Russie, la Syrie et Bahreïn. L'Europe n'a pas franchi le pas et il semble qu'ils y bénéficient d'une grande liberté de mouvement, même si David Cameron avait dénoncé fin 2015 officiellement le double langage de cette organisation et sa dangerosité, à la suite d'un rapport réalisé sur les activités de la Confrérie et présenté le 15 décembre 2015.

A contrario, le président turc, Recep Tayyip Erdogan a déclaré le 19 février 2017 qu’il ne considérait pas les Frères musulmans comme une organisation terroriste, car ne s’agissant pas d’une organisation armée, mais d’une organisation intellectuelle. Cette déclaration a été faite lors d’un entretien accordé à la chaîne saoudienne Al-Arabiya pendant la visite d’Erdogan en Arabie Saoudite.

Nous avons néanmoins choisi d'intégrer ce mouvement dans cette liste car la Confrérie a souvent  été citée par les politiques français et possède également une extension sur le territoire qui mérite une attention toute particulière. Pour autant, elle ne constitue pas une structure pyramidale centralisée mais une mouvance hétérogène, labile et multiforme, ce qui la rend difficilement qualifiable d'organisation terroriste, mais doit plutôt être vue comme un vecteur potentiel d'émulsion terroriste.


Les origines

Les Frères musulmans, une organisation internationale sunnite fondée en 1928 en Egypte, prônent un Islam politique, contre "l’emprise laïque occidentale". Son fondateur, Hasan al-Banna, n'est pas un ouléma, mais un simple instituteur très affecté par la domination anglaise sur son pays et les influences, jugées corruptrices, de l'Occident matérialiste.

Hasan al-Banna fondateur de la Confrérie des Frères musulmans

Déterminé à lutter contre « l’emprise laïque occidentale et l’imitation aveugle du modèle européen », son mouvement débute comme une simple association locale de bienfaisance mais rapidement se donne un but politique, celui d’instaurer un grand État islamique fondé sur l’application de la charia, et ainsi restituer le cadre territorial, politique et religieux du Califat, avant de partir à la conquête du monde.

Lors de son premier congrès en 1933, l’organisation comptait 2.000 militants, un an plus tard ils sont 40.000, et en 1943 la confrérie compte plus de 200.000 militants. En 1936, al-Banna publie un manifeste en 50 points régissant le cadre intérieur du Califat. Ses propositions de réformes sont très spécifiques et elles touchent tous les domaines de l’activité humaine: politique, juridique, administratif, social, éducatif et économique.

Lorsque les Frères Musulmans republièrent le manifeste de leur fondateur en anglais en 2007, ils indiquèrent qu’en 1947 al-Banna avait envoyé des copies de ses propositions au roi Farouk d’Égypte, à son premier ministre ainsi qu’à de nombreux rois, princes et leaders du monde musulman.

Ce document des Frères Musulmans préconise une application de la charia qui passe par un système de gouvernement à parti unique, par l’interdiction de la danse, par la censure des livres et des films, par des programmes scolaires distincts pour les filles et les garçons et même par une politique vestimentaire imposée aux citoyens par une police des mœurs.

Les cellules de l'Association se multiplient en Égypte, mais aussi au Soudan et dans l'ensemble du Proche-Orient, et le groupe se dote d'une branche militaire, l'Organisation secrète. En 1948, l'« appareil secret » des Frères musulmans (branche paramilitaire de l'organisation appelée aussi l'« organisation spéciale ») assassine le Premier ministre égyptien de l’époque, Mahmoud an-Nukrashi Pacha.

Mahmoud an-Nukrashi Pasha, né en 1888 et assassiné en cours de mandat par un membre des Frères musulmans le 28 décembre 1948

En représailles, l'organisation est interdite et son fondateur Hassan al-Banna est assassiné par les agents du gouvernement en 1949. Au début des années 1950, les États-Unis s’intéressent aux Frères musulmans comme alliés potentiels contre Nasser et l’établissement de régimes communistes ou socialistes au Moyen-Orient.

Sayyid Qutb lors de son emprisonnement en Egypte par Nasser


Un nouveau nom arrive pour remplacer le défunt fondateur du mouvement: Sayyid Qutb aurait pu n’être qu’un théoricien anonyme, mais son séjour en prison lors des grandes répressions de Nasser le radicalise. Sa doctrine tend à s’imposer sur la confrérie en lieu et place de celle de Hassan Al-Banna, attaché lui à une islamisation progressive de la société. Il préconise le recours à la force contre le pouvoir jugé impie, et devient l'un des idéologues les plus connus de la mouvance islamiste, condamné à mort en 1966 par les autorités égyptiennes.

Il est à l'origine de cette forme d'islamisme radical appelé takfirisme, qui procède par anathémisation ou excommunication (takfîr). Il a été également un des premiers idéologues de l'islamisme moderne a légitimer la violence politique d'un point de vue théologique et à appeler à la "guerre sainte" (djihad) contre les autres musulmans s'ils ne suivent pas strictement les enseignements de l'islam ou s'ils n'appliquent pas la charia sur les territoires à majorité musulmane.

Les takfiristes ont connu un essor fulgurant avec l'Etat islamique en Irak et au Levant. En effet à partir de 2014, les idéologues de ce groupe terroriste émettent plusieurs fatwas de condamnation et d'excommunication visant des régions entières ou des communautés spécifiques. C'est notamment le cas des régions à majorité chiite (en Irak) ou alaouite (en Syrie), considérées comme mécréantes et visées par de nombreux attentats meurtriers.

Nous avons déjà indiqué que les Frères musulmans sont classés "organisation terroriste" par plusieurs pays, dont l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, mais pas par l'Europe occidentale. Les Frères sont à l’origine de la fondation en Europe de l’UOIE (Union des organisations islamiques en Europe), dont émanera l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), en 1983. À la suite du congrès de l'UOIF de février 2017 au Bourget, l'UOIF vote son renommage en simple « Musulmans de France ». Dans les personnalités connues en France, on peut citer Tariq Ramadan. Il est titulaire de la chaire d’études islamiques contemporaines Hamad Bin Khalifa Al-Thani à l’Université d’Oxford et Président du Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique à Doha, et demeure une personnalité à forte présence médiatique dans le monde francophone (surtout en France et au Canada) étroitement associée aux Frères musulmans. Petit-fils du fondateur des Frères Musulmans, Hassan al-Banna, Tariq Ramadan est intervenu à de nombreuses reprises lors d’événements organisés par l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), ou il a souvent confirmer son entière adhésion aux thèses historiques d'al-Banni et de son manifeste de 1936.

Depuis les années 1960, l'idéologie des Frères musulmans constitue l'ADN de la famille régnante des al-Thani, et le bras de fer déclenché par l'Arabie saoudite avec le Qatar le 05 Juin 2017 indique bien une volonté du leader sunnite de combattre toute organisation terroriste pouvant intervenir sur son propre royaume, tout en s'affichant internationalement comme un fervent combattant du terrorisme!

Le Qatar et la Turquie sont devenus avec le nouvel émir Tamim al-Thani très proches: Ils ont signé en 2014 un accord de défense qui comprend l'établissement d'une base turque dans l'émirat ainsi qu'un accord de coopération militaire pour des entraînements communs entre les deux armées. Les Frères musulmans à Ankara s'en trouvent renforcés dans l'établissement de la dictature mise en place par Recip Tayep Erdogan.

Le président turc Erogan avec l'émir qatari Tamim al-Thani à Ankara le 19 Décembre 2014

L'ultimatum saoudien contre son voisin Qatari, exige, entre autres, l'abandon par Doha de liens de coopérations avec Téhéran (il est par exemple demandé au Qatar de mettre un terme à sa présence diplomatique en Iran), la fermeture de la base militaire où des troupes turques se trouvent stationnées, la fermeture de toutes les antennes internationales de sa puissante chaîne de télévision satellitaire Al Jazeera. Coté saoudien, on voit ici un divorce consommé avec la Confrérie, et par induction avec le Qatar.

Les relations entre la famille régnante saoudienne et la Fraternité avaient déjà commencé à se tendre bien avant la crise qatarie, avec l'opposition saoudienne à l'invasion irakienne du Koweït et la volonté du gouvernement saoudien de permettre aux troupes américaines de se baser dans le Royaume pour combattre l'Irak. La Confrérie a soutenu le mouvement Sahwah ("Éveil") qui a appelé à un changement politique dans le Royaume. En 2002, le ministre saoudien de l'Intérieur, le prince Nayef a dénoncé la Fraternité, en disant qu'elle était coupable de « trahison de promesses et d'ingratitude » et était « la source de tous les problèmes dans le monde islamique ». En mars 2014, dans une « rupture significative au regard de sa position officielle passée » le gouvernement saoudien a déclaré la Fraternité « organisation terroriste » et a suivi par un décret royal annonçant de lourdes peines de prison en cas d'appartenance à la Confrérie.

On comprend ici la subtilité des liens entre les mouvances salafistes wahhabites soutenues par l'Arabie saoudite, et les Frères musulmans d'origine soufie soutenus par le Qatar, et plus indirectement par la Turquie. On le verra lors de l'étude de l'EI, les Frères musulmans partagent avec l'EI une volonté de restaurer le "Califat islamique" mais les méthodes pour y arriver sont différentes suivant les courants: certains ont refusé catégoriquement tout intervention dans le champ politique, tandis que d'autres ont appelé à "réislamiser" la société par le bas pour résoudre ses problèmes, d'autres enfin ont appelé à prendre le pouvoir par la force (courant qutbiste).


Le Front Al-Nosra


Le Front al-Nosra est apparu officiellement en janvier 2012, soit dix mois après le début de la révolte pacifique contre le régime de Bachar al-Assad, réprimée dans le sang, qui s'est transformée en conflit dévastateur. Le groupe avait prêté allégeance au chef d'Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri en avril 2013, avant de devenir la branche syrienne à partir de novembre de la même année.

Le Front al-Nosra, composé essentiellement de combattants syriens, est le plus important groupe djihadiste en Syrie après son grand rival, l'EI, qui, au contraire, rassemble un grand nombre d'étrangers. L'autre grande différence entre Al-Nosra et l'EI réside dans le fait que le premier est allié avec les rebelles combattant le régime et s'est constitué un soutien populaire. Par contre, l'EI combat tous ceux qui ne lui prêtent pas allégeance.

Capture d'écran d'un enregistrement diffusé sur Al-Jazeera montrant le chef du Front Al-Nosra, Abou Mohammad al-Jolani qui annonce la scission avec Al-Qaïda du mouvement désormais baptisé Jabhat Fatah al-Cham. © Al-Jazeera

Le Front al-Nosra, unique branche syrienne d’Al-Qaïda depuis 2013, a annoncé le 28 juillet 2016, par la voix de son chef, Abou Mohammad al-Jolani, quitter le groupe djihadiste et se rebaptiser Front Fateh al-Cham, soit le Front de conquête de Damas (Cham peut signifier Levant mais est aussi utilisé dans le dialecte syrien pour désigner la ville de Damas et par extension la Syrie).

Pour Al-Nosra, c'est une manœuvre de politique interne. Cela va leur permettre de s'allier avec d'autres groupes rebelles syriens qui jusque-là étaient rebutés par l'affiliation à Al-Qaïda. C'est une sorte d'entreprise de légitimation. Et le Front al-Nosra peut désormais se présenter comme une organisation strictement syrienne, sans financement étranger. Cela a suscité pas mal de débats au sein du groupe, les étrangers d'Al-Nosra notamment ne voulaient pas se dissocier d'Al-Qaïda.

L'expert des groupes djihadistes Charles Lister, l'un des premiers à annoncer cette scission, avait tweeté que l'objectif d'Al-Nosra était de se protéger d'une éventuelle campagne russo-américaine, de "s'incruster davantage dans la révolution syrienne et de garantir son avenir à long terme".

Notons enfin qu'en l’absence de Vladimir Poutine, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a prononcé un discours à l’Assemblée générale des Nations unies le 21 septembre 2017. Il a indiqué lors de son allocation, que pour une raison qu'il ignorait, le Front Al-Nosra était semble-t-il protégé par la coalition américaine.



Boko Haram


Boko Haram (« L’éducation occidentale est péché » en langue haoussa) est un groupe islamique armé au Nigeria créé en 2002. C’est à l’origine une secte. Prônant un islam radical et rigoriste, Mohammed Yusuf, son fondateur, commence à attirer des fidèles dans les années 1990. Il recrute notamment parmi les étudiants coraniques défavorisés. Il reçoit également le soutien de gens éduqués dès le début des années 2000. Selon l’International Crisis Group, on considère que Boko Haram né en 2002 lorsqu’il commence à attirer l’attention des autorités.

Tout au long de ses sept ans d’insurrection, Boko Haram a attaqué des cibles civiles et gouvernementales pour étendre son territoire et instaurer la peur dans le nord-est du Nigeria. Les chefs ont promis aux jeunes recrues de mourir en martyrs, en les enrôlant et en les envoyant au front légèrement armés et avec peu d’entrainement. Le groupe a enlevé des milliers de femmes et d’enfants.

L’interprétation violente de l’Islam par Boko Haram est à mettre en lien avec les enseignements de son fondateur, Mohammed Yusuf. Yusuf prêchait que l’éducation occidentale était un péché. Les tensions entre les autorités nigérianes et le groupe ont culminé en 2009 lorsque la police a réprimé Yusuf et ses disciples et exécuté Yusuf dans la rue.

Mohammed Yusuf, 39 ans, arrêté par les forces de l'ordre du Nigéria le 30 juillet 2009 à Maiduguri - Source AFP

Après une période de luttes internes pour la succession du fondateur, c'est l'un de ses lieutenants, Abubacar Shekau qui transforme réellement la secte en un groupe insurrectionnel usant de méthodes terroristes à grande échelle. Shekau pense qu’attaquer les civils, kidnapper des écolières et tuer des infidèles – musulmans ou non – se justifie au nom du “djihad.”

Le nouveau leader de Boko Haram: Aboubacar Shekau

En mai 2014, Boko Haram est une inscrite sur la liste de l'ONU des entités sanctionnées pour association avec Al-Qaïda. Le groupe entretien des relations avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) à des fins de formation et d'appui matériel. En juillet 2014, Shekau félicite le chef de l'Etat islamique, Abou Bakr Al-Baghdadi, d'avoir instauré le Califat en Irak et en Syrie puis en mars 2015, il lui fait allégeance et change le nom de son groupe en Etat islamique d'Afrique de l'Ouest (EIAO), tournant ainsi le dos à Al-Qaïda.

Au plus fort de l’insurrection, Boko Haram contrôlait un territoire vaste comme deux fois la Belgique. La progression du groupe a déplacé plus de deux millions de Nigérians et a mené à une forte insécurité alimentaire. Depuis le changement de nom en EIAO, l'organisation procède par mimétisme avec l'Etat islamique, et adhère à la même vision de califisme, mais la référence de Boko Haram se trouve au nord du Nigéria, dans l'épisode historique du califat de Sokoto (1804-1903).

Aujourd’hui, de nombreuses villes, occupées jadis par Boko Haram, ont été libérées par l’armée nigériane et les Etats voisins.

Source : le groupe Institute for Economics & Peace: Global Terrorism Index 2015


Al-Qaïda


Al-Qaïda est une organisation terroriste islamiste fondée en 1987 par le cheikh Abdullah Yusuf Azzam et son élève Oussama ben Laden.

Ousama Ben Laden en Afghanistan - Photographe: Sipa Press/Rex Features


D'inspiration salafiste djihadiste, Al-Qaïda a ses racines chez des penseurs musulmans radicaux. Il considère que les gouvernements « croisés » (occidentaux), avec à leur tête celui des États-Unis, interfèrent dans les affaires intérieures des nations islamiques et ce dans l'intérêt unique des sociétés occidentales. Il a recours au terrorisme pour faire entendre ses revendications. Al-Qaïda a émergé de l'organisation Maktab al-Khadamāt, constituée pendant la première guerre d'Afghanistan par Azzam pour alimenter la résistance afghane contre les forces armées d'URSS.

Le rôle de la CIA fait l'objet d'un débat, notamment à l'extrême gauche mais aussi dans le monde du renseignement : l'agence américaine aurait entraîné et donc donné naissance à l'organisation terroriste pour combattre les Soviétiques. Cette hypothèse fut défendue et développée le 8 juillet 2005 par Robin Cook, ancien ministre des affaires étrangères et député travailliste qui s'opposa violemment à l'intervention en Irak et à la politique pro-américaine de Tony Blair.

Il affirma dans le Guardian « Ben Laden fut le produit d'une erreur de calcul monumentale de la part des agences de renseignements occidentales. Il fut armé par la CIA pendant les années 1980 et financé par l'Arabie saoudite pour porter le djihad contre l'occupation russe en Afghanistan. Al-Qaïda, qui signifie littéralement la base de données, était originellement les fichiers informatiques regroupant les milliers de moudjahidines recrutés et formés par la CIA pour vaincre les Russes ». L'original de cet article peut être lu en suivant le lien suivant (en anglais). Depuis, Hillary Clinton avoua publiquement le financement de Ben Laden par la CIA, en vue de contrer l'avancée soviétique en Asie Centrale.

Nous allons voir maintenant plus en détails les différentes branches de l'organisation terroriste, qui a su se décentraliser pour augmenter ses chances de survies après des frappes occidentales.




1- Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA)


AQPA est la plus puissante et la plus active des branches d'Al-Qaïda. Elle naît en janvier 2009 de la fusion des djihadistes saoudiens et yéménites, et a réaffirmé son allégeance à Oussama ben Laden dont le père, originaire du Yémen, avait émigré en Arabie Saoudite. AQPA a su également se renforcer par l'afflux de combattants étrangers. Depuis sa création, l'organisation a revendiqué plusieurs attentats ou tentatives menées par des individus qui ont été en contact avec ses chefs ou bien qui sont passé par ses camps d'entrainement au Yémen.

Le dernier attentat perpétué par la branche est celui des frères Kouachi, à Paris le 7 janvier 2015.

AQPA a profité du chaos qui a suivi le "printemps yéménite" en 2011 pour se renforcer au sud du pays. Elle a conforté sa mainmise sur plusieurs localités dans la province d'Abyan et pris le contrôle de certaines villes comme Zinjibar. Mais après l'entrée des Houthis dans la capitale Sanaa fin 2014, l'organisation a été confrontée à la compétition d'un nouveau venu, l'Etat islamique, qui a attiré un certain nombre de ses combattants et mené des actions d'envergure.


2- Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)



AQMI est la principale organisation terroriste en Afrique du Nord et au Sahel. Elle naît fin 2006 de l'unification de l'ensemble des groupes islamistes actifs au Maghreb et au Sahara, sous un même commandement affilié à Al-Qaïda. Elle est formée d'un même noyau dur algérien issu du Groupe islamique armé (GIA) des années 1990 et du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) des années 2000.

Depuis sa création, AQMI est dirigé par l'algérien Abou Moussab Abdelwadoud, alias Abdelmalek Droukal, qui était déjà auto-proclamé émir du GSPC (depuis 2004). Il est secondé par un Conseil des chefs qui regroupe les principaux commandants de l'organisation en Algérie et au Sahel. Parmi les figures les plus connues d'AQMI, il y a Abdelhamid Abou Zeid, auteur de nombreux enlèvements d'occidentaux, tué lors d'un raid français au nord du Mali en février 2013.


Il y aussi Moktar Belmoktar, dit le Borgne, qui retourne dans la giron d'AQMI en 2015, après avoir fait sécession en 2012. Confronté à la concurrence de l'Etat islamique dans la région, il mène au nom d'AQMI plusieurs actions analogues contre les forces françaises au Sahel, ainsi que des attentats dans les capitales d'Afrique de l'Ouest.

Si le terrorisme d'AQMI est résiduel en Algérie, il est en expansion en Afrique subsaharienne grâce à sa brigade Al-Morabitoun. Cette dernière fédère, sous l'autorité de Belmoktar, divers groupes bien implantés localement. Bénéficiant de l'instabilité de la Libye depuis 2011, Al-Morabitoun a su tisser des liens avec des groupes comme Ansar Al-Charia, que ce soit en Tunisie ou en Libye. Ses connexions lui permettent d'ailleurs de circuler de façon relativement libre dans le Grand Sahara malgré les opérations militaires françaises.



3- Les Shebabs


Le mot "Shebabs" ou "Shababs"signifie littéralement les Jeunes, mais le nom complet du groupe est Shababs Al-Moudjahidines, autrement dit la "jeunesse combattante". Ces Shababs sont issus de l'Union des Tribunaux islamiques (UTI), chassée de Mogadiscio par l'armée éthiopienne début 2007.
Ils seraient 5.000 combattants dont certains ont prêtés allégeance à ben Laden de son vivant. Son successeur à la tête d'Al-Qaïda, al-Zawahiri, leur accorde en 2012 son label sous le nom d'Al-Qaïda dans la Corne de l'Afrique.

Depuis ils démontrent leur capacité opérationnelle à mener des enlèvements et des attentats suicides. En septembre 2013, le monde entier suit en direct la prise d'otages et la tuerie du centre commercial Wesgate dans la capitale du Kenya, Nairobi, qui a fait une vingtaine de morts parmi les civiles. En avril 2015, les Shebabs attaquent l'université de Garissa au Kenya, faisant plus de 150 morts parmi les étudiants. Ils réclament toujours la création d'un Etat islamique en Somalie, mais le pays reste plongé dans une totale anarchie depuis maintenant plus d'un quart de siècle.




Si la partie nord du pays, le Somaliland, a acquis une autonomie de fait, le reste de la Somalie demeure soumis aux aléas des interventions étrangères, qu'elles soient humanitaires ou militaires. Après maints efforts, la communauté internationale a réussi à juguler la piraterie au large des cotés somaliennes, mais elle ne parvient toujours pas à éviter la famine.



L'Etat islamique


1- Une vision panislamiste


Les panislamistes sont des islamistes radicaux qui militent pour la restauration du "califat islamique" aboli par Atatürk en 1924 dans sa forme dernière. Ils estiment que la communauté musulmane ne peut vivre sans "calife" (successeur du prophète), c'est-à-dire sans guide spirituel et temporel commun. Ils invoquent pour cela le fait que les musulmans ont toujours vécu sous la guidance d'un imam, même s'ils étaient soumis politiquement à l'autorité de divers souverains (rois, sultans, émirs).

Le but de cet article n'est pas de reprendre en détails l'histoire de l'Islam, qui fera probablement l'objet d'une article d'histoire dédié, mais il est important de rappeler ici que ce courant panislamiste originellement entretenu par les ottomans pour garantir la cohésion du califat de l'empire ottoman, a largement été renforcé lors de la frustration issue des accords franco-britanniques de Sykes-Picot (1916). En réaction contre ces accords qui mettent fin à l'idée d'un grand état arabe libre et indépendant, le panislamisme se présente comme un courant de pensée et de lutte anticolonialiste visant la restauration du califat et la réunification des peuples musulmans.

Aujourd'hui, le panislamisme possède des partisans un peu partout dans le monde musulman, cependant ses fidèles sont divisés en deux courants concurrents: le premier est de type fédéraliste et vise la création d'états islamiques unis; le second projet prône l'instauration d'une union confédéraliste. Les deux projets reposent sur des principes différents: l'un vise l'unité territoriale dans le cadre de la maison de l'Islam (dâr al-Islam) tandis que l'autre se réclame d'une conception  de la communauté de l'islam (oumma) dont l'objectif est l'unité de la foi mais pas nécessairement des territoires.

2- La fragile situation irakienne lors du départ des américains


Pour comprendre la formation de l'Etat islamique, il faut remonter à l’intervention américaine en Irak, en 2003. Les sunnites, qui n'y représentent qu’un tiers de la population, mais détenaient le pouvoir sous Saddam Hussein, sont écartés. Marginalisés, victimes de violences, ils se soulèvent contre le nouveau régime chiite, soit par des manifestations soit par la violence. Les quelques concessions du premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki, au pouvoir depuis 2006, ne les satisfont pas.

Premier ministre irakien de 2006 à 2014, puis vice-président de 2014 à 2015, puis depuis 2016

Plusieurs tribus sunnites s’allient alors aux djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EEIL), dont l’influence ne cesse de grandir depuis le départ des Américains, en 2011. Au point de devenir aujourd’hui le principal parti sunnite d’Irak, mu par un objectif : l’instauration d’un califat sunnite à cheval entre l’Irak et la Syrie. A ce jour, il contrôle déjà une partie importante du nord de l’Irak, dont la deuxième ville du pays, Mossoul, ce qui va être développé dans le paragraphe suivant.

3- Daesh ou l’Etat Islamique, et son calife : Abou Bakr Al-Baghdadi


Abou Bakr Al-Baghdadi, chef de l’organisation est le chef de l’EI, a été déclaré (ou plutôt auto-proclamé) calife, le 29 juin 2014. L’EI estime que le chiisme est une innovation, or innover par rapport au Coran revient à nier sa perfection initiale. Ainsi quelques 200 millions de chiites sont menacés de mort. Il en va de même pour les chefs d’Etat de tous les pays musulmans, qui ont élevé le droit des hommes au-dessus de la charia en se présentant à des élections ou en appliquant des lois qui ne viennent pas de Dieu.

Aboubakr al-Baghdadi, chef de Daech, déclaré mort en juin 2017 mais toujours considéré comme vivant par la coalition sans preuve du contraire

Conformément à sa doctrine sur l’excommunication, l’EI s’engage à purifier le monde en exterminant de larges groupes de personnes. Les publications sur les réseaux sociaux, et les savantes orchestrations vidéo montées comme des clips de propagandes laissent penser que les exécutions individuelles se déroulent plus ou moins en continu et que des exécutions de masse sont organisées à quelques semaines d’intervalle. Les “apostats” musulmans sont les victimes les plus nombreuses. Il semble en revanche que les chrétiens qui ne résistent pas au nouveau pouvoir échappent à l’exécution automatique.

Les rangs de l’EI sont profondément imprégnés d’ardeur religieuse. Les citations du Coran sont omniprésentes. Les combattants de l’EI sont “en plein dans la tradition médiévale qui représente l’âge d’or de l’Islam pour eux, et ils la transposent dans son intégralité à l’époque contemporaine. Le Coran précise que la crucifixion est l’une des seules sanctions permises contre les ennemis de l’islam. Lorsque l’EI a commencé à réduire des gens en esclavage, même certains de ses sympathisants ont renâclé. Néanmoins, le califat a continué à pratiquer l’asservissement et la crucifixion.

Le dernier califat historique est l’Empire ottoman, qui a connu son âge d’or au XVIe siècle, avant de subir un long déclin jusqu’à sa disparition en 1924. Mais de nombreux sympathisants de l’EI, mettent en doute la légitimité de ce califat, car il n’appliquait pas intégralement la loi islamique, qui requiert lapidation, esclavage et amputations, et parce que ses califes ne descendaient pas de la tribu du Prophète, les Quraychites. Comme Oussama Ben Laden avant lui, Abou Bakr Al-Baghdadi s’exprime avec emphase, utilisant de nombreuses allusions coraniques et en affichant une grande maîtrise de la rhétorique classique. Mais contrairement à Ben Laden et aux faux califes de l’Empire ottoman, il est Quraychite.

Le califat est un véhicule idéologique permettant au tyran de faire asseoir la charia dans son intégralité. En effet, avant le califat, une infime partie la charia était appliquée. Sans califat, par exemple, il n’y a pas d’obligation d’amputer les mains des voleurs pris en flagrant délit. Avec l’établissement d’un califat, cette loi ainsi que toute une jurisprudence reprennent soudain vie.

Les Etats-Unis et leurs alliés ont réagi contre l’EI tardivement et avec stupéfaction. Les ambitions de l’organisation et les grandes lignes de sa stratégie étaient manifestes dans ses déclarations et sur les réseaux sociaux dès 2011, quand l’EI n’était qu’un mouvement parmi les nombreux groupes terroristes présents en Syrie et en Irak. En 2011, Abou Bakr Al-Baghdadi s’était déjà qualifié de “commandeur des croyants”, un titre habituellement réservé aux califes.

Si nous occidentaux avions identifié les intentions de l’EI plus tôt et compris que le vide politique en Syrie et en Irak lui donnerait tout l’espace nécessaire pour les mettre en œuvre, nous aurions au minimum poussé l’Irak à renforcer sa frontière avec la Syrie et à négocier des accords avec sa population sunnite. Et pourtant, début 2014, Barack Obama a déclaré au New Yorker qu’il voyait l’EI comme un partenaire plus fiable d’Al-Qaida et qu’il ne fallait pas « mettre la charrue avant les bœufs » sur une stratégie d’élimination.

S’il est contenu, il est probable que l’EI cause lui-même sa chute. Il n’est allié à aucun autre pays et son idéologie garantit que cela ne changera pas. Les terres qu’il contrôle, certes vastes, sont pour l’essentiel inhabitées et arides. A mesure qu’il stagnera ou que son territoire rétrécira lentement, sa prétention d’être le moteur de la volonté de Dieu et l’agent de l’apocalypse perdra de sa valeur. A mesure qu’augmenteront les informations sur la misère qui y règne, les autres mouvements islamistes radicaux seront discrédités : personne n’a jamais cherché à ce point à appliquer strictement la charia en faisant appel à la violence. Voilà à quoi cela ressemble.



Il serait facile d’évoquer, concernant l’EI, un “problème avec l’islam”. La religion autorise de nombreuses interprétations et les sympathisants de l’EI sont moralement responsables de celle qu’ils ont choisie. Et pourtant, en faire une institution contraire à l’islam peut être contre-productif, notamment si ceux qui entendent ce message ont lu les textes sacrés et vu que de nombreuses pratiques du califat y sont clairement décrites.

4- Le financement de Daech

Le circuit financier de l'EI est relativement opaque et clandestin, mais il est possible de s'en faire une idée à travers les publications internes de l'organisation. Officiellement, il existe un ministère ("diwan") avec un "vizir" à sa tête, chargé de l'administration fiscale. De même des sous-groupes gèrent le budget et d'autres organes essentiels à ce proto-état. L'examen approfondi du système fiscal montre qu'il est fortement décentralisé et fortement inspiré de l'organisation ancienne de l'Etat califal, notamment sa forme primitive qui existait sous les quatre premiers califes dits "bien guidés".

Sur la base d’estimations conservatives, le total des richesses contrôlées par Daesh s’élève à plus de 2 milliards de dollars. Cela fait l'organisation terroriste la plus riche du monde.

Soixante-quinze millions d’euros, ou bien 80 millions de dollars, c’est le « revenu » mensuel qu’affiche Daech dans les territoires qu’il contrôle en Syrie et en Irak, selon une étude de l’IHS, un organisme basé à Londres (Royaume-Uni), publiée le 07.12.2015. 


Le groupe Etat islamique tire environ la moitié de ses revenus des taxes qu’il prélève en interne, et issues de la taxation et de la spoliation des populations locales, et 38 % de la vente du pétrole et du gaz, un secteur affaibli par les bombardements de la coalition internationale anti-djihadistes et de la Russie. Selon les documents internes au ministère gérant l'exploitation pétrolière, il y aurait une trentaine de puits de pétrole exploités en Syrie. Fin 2015, l'EI ne gérait plus que quelques puits artisanaux, sans disposer réellement d'une véritable capacité de production ni de commercialisation.

Grace à une diversification systématique des sources de financement, Daech peut virtuellement subvenir aux besoins d’un territoire de la taille d’un véritable pays. Depuis son origine, Daech a systématisé les extorsions d’argent, prises d’otage et autres activités criminelles, focalisant sur des entrepreneurs, chefs d’entreprises, membre cléricaux : ceci pourrait représenter jusqu’à 10 millions de dollars par mois. Parallèlement, Daech organise un racket fiscal sur les populations en mettant en place des taxes sur les biens, des taxes sur les retraits d’argents des comptes en banque, 5% de taxe sur tous les salaires afin de couvrir certaines dépenses publiques, une taxe de passage routier dans le Nord de l’Iraq de 200$, une autre de 800$ sur tous les camions entrant en Iraq ainsi qu’une taxe de protection pour les non-musulmans. 

Sur le plan des ressources naturelles, en plus des bien connues réserves et productions de pétrole et de gaz naturel revendu au marché noir à un prix discount, il faut compter également sur l’extraction et la production de sulfure, de ciment, de phosphate, et enfin d’une manière plus mal connu sur l’agriculture, notamment le coton (revendu aux groupes industriels turcs) et l’orge.


5- Liens entre l'Etat islamique et les autres organisations terroristes concurrentes


La doctrine de l'EI s'appuie sur une terreur constante dont l'idéologie se traduit par des massacres inter-musulmans, en particulier contre les chiites en Irak et en Syrie. Al-Qaïda systématise plutôt les attentats en Occident et tente d'épargner les populations musulmanes locales. Depuis 2014, les passages de combattants entre les deux organisations sont fréquents et les deux semblent désormais fonctionner en vase communiquant, unis contre les représailles militaires de la coalition.

Coté taliban, la situation est complexe: le mouvement des talibans pakistanais (TTP) s'est retrouvé divisé sur l’allégeance envers l'EI, avec un porte parole qui décide de suivre l'EI et un chef, en la personnalité du mollah Fazlullah qui ne cautionne pas l'action de son porte-parole. En ce qui concerne les talibans afghans, ils n'ont pas fait allégeance à l'EI. Lors du décès de l'emblématique mollah Omar et son remplacement par le mollah Akhtar, les talibans ont concomitamment annoncé
le nouveau dirigeant ainsi que leur alliance avec le nouveau chef d'Al-Qaïda, Ayman Zawahiri, confirmant ainsi les liens historiques courant depuis deux décennies entre les deux organisations.


Al-Morabitoun


Al-Morabitoun (la Sentinelle) est un groupe islamiste armé créé en août 2013 par l'algérien Moktar Belmoktar, l'un des chefs historiques d'AQMI au Sahel.

Moktar Belmoktar

Il venait de faire sécession pour des divergences de stratégies avec le commandement de son organisation qui favorisait à l'époque son compatriote et concurrent direct dans la région Abdelhamid Abou Zeid (tué en 2013). En réaction, Belmoktar fonde un nouveau groupe en poussant à la fusion de deux autres moins importants: les Signataires par le sang (SPS) et le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO).

Le chef de ce nouvel ensemble est connu sous le nom de Monsieur Marlboro en raison de sa participation active dans le trafic de cigarettes dans cette région. Il est l'un des rares survivants des anciens de l'AQMI à avoir combattu en Afghanistan dans les années 1980, d'abord contre les soviétiques puis au coté des talibans. A son retour en Algérie dans les années 2000, il s'installe dans le Grand Sahara, y lie de solides alliances en épousant des femmes de plusieurs tribus touaregs et se consacre à la diffusion de l'idéologie salafiste et djihadiste.

Il participe à de nombreuses actions armées contre les étrangers et les forces militaires des pays du Sahel. Après 2011, il rejoint à la faveur du Printemps arabe les groupes islamistes de l'est libyen (Cyrénaïque) ou il tisse des liens solides avec notamment Ansar al-Charia. Cela lui permet de s'armer à peu de frais et de rester à l'écart des opérations Serval et Berkhane menées, à partir de janvier 2013, par l'armée française au nord Mali puis dans tout le Sahel.

CRÉDIT PHOTO : IDÉ

En 2015, face à la montée en puissance de l'Etat islamique en Libye, il retourne dans le Grand Sahara et réintègre les rangs d'AQMI avec son groupe Al-Morabitoun pour mener des attentats en son nom dans plusieurs pays d'Afrique: attaque de l’hôtel Radisson à Bamako au Mali en novembre 2015, attaque de l’hôtel Spendid à Ouagadougou au Burkina Faso le 15 janvier 2016, attaque sur la plage de Grand-Bassam en Côte d'Ivoire le 14 mars 2016.


Ansar Al-Charia


Ansar al-Charia (Les partisans de la charia) est le nom de divers groupes islamistes présents dans différents pays dont l'Egypte, la Libye, le Mali, le Maroc, la Syrie, la Tunisie et le Yémen. À la suite de la révolution de 2011, de nombreux prisonniers politiques islamistes détenus par le régime de Zine el-Abidine Ben Ali sont libérés, y compris Seifallah Ben Hassine qui avait cofondé le Groupe combattant tunisien.

Le mouvement a été fondé en avril 2011 en Tunisie par Seifallah Ben Hassine qui sera tué en Libye en juin 2015 par une frappe de drone américain. Pendant la "Révolution du jasmin", le groupe s'illustre par des attaques contre les universités, les médias, et le saccage d'espaces culturels. En 2012, il tient son congrès national dans la ville de Kairouan.

Les islamistes se mobilisent contre les autorités tunisiennes qui n'ont pas autorisé la manifestation. En arrière-plan la mosquée de Sidi Ogby - l'un des lieux les plus saints pour les musulmans, sept pèlerinages à cette mosquée égale à un pèlerinage à La Mecque

En 2013, Ansar Al-Charia est impliqué dans l'assassinat d'opposants politiques de la gauche tunisienne (Belaïd et Brahmi) ainsi que dans l'attaque de plusieurs postes de police et de l'armée. Malgré un gouvernement alors dominé par les islamistes d'Ennahda, il est finalement interdit et classé officiellement comme une organisation terroriste. Mais entre-temps, la plupart des membres, dont son chef emblématique Abou Iyadh, avaient rejoint soit la Libye pour combattre aux côtés du groupe libyen du même nom, soit la Syrie pour renforcer les rangs de l'EI qui était alors en plein essor. Certains de ses membres restent néanmoins en Tunisie et rallient la brigade Okva Ibn Nafi, affiliée à AQMI et active au mont Chaambi. De là, ils mènent plusieurs actions meurtrières contre les forces de l'ordre et l'armée tunisiennes mais ils s'attaquent aussi à la population locale, ce qui contribue à leur isolement.

A partir de 2015, certains anciens membres d'Ansar Al-Charia rentrent de Syrie pour mener plusieurs attentats meurtriers en Tunisie, dont les plus médiatisés ont été: l'attaque du musée du Bardo le 18 mars 2015, l'attaque de la plage de Sousse le 26 juin 2015, l'attentat suicide contre la garde présidentielle à Tunis le 24 novembre 2015. Parallèlement, les membres du groupe demeurés en Libye préparent l'attaque massive de la ville frontière de Ben Guerdane qui a lieu le 7 mars 2016. Plusieurs commandos terroristes ont attaqué en même temps une caserne de l'armée, un poste de police et un poste de la garde nationale de la ville.



Un bilan fait état de plus de trente morts. Suite à ses affrontements un couvre-feu a été imposé dans la ville et l'état d'urgence prolongé. La tentative de prise de la ville afin d'y instaurer un Émirat islamiste, à l'instar de ce qu'avait fait Ansar Al-Charia en Libye a heureusement échoué.



Malgré ses échecs, le groupe demeure actif dans plusieurs régions tunisiennes et possède des partisans notamment dans le sud et l'est du pays. Ces derniers demeurent convaincus que la solution aux problèmes de la Tunisie réside dans l'application stricte et immédiate de la Charia.



Conclusions en 4 étapes


1- Une vision géopolitique

La préférence des chefs d'Etat occidentaux pour les armes n'est plus guidée par la volonté de puissance mais malheureusement par le désir de se soustraire à la complexité de la décision. Le traitement d'un monde passionnel et complexe par la raison de l'instantané a conduit à une myopie générale bien dangereuse. Au sein des peuples comme entre les peuples, on a fait mine d'oublier le plus puissant moteur de la politique, la soif de reconnaissance: revendication de dignité, revanche contre les oppresseurs, aspiration à la puissance demeurent les mobiles profonds de notre monde, la source des révolutions et des guerres.

Mais nos vieilles sociétés semblent n'y rien comprendre en oubliant l'Histoire. Elles n'ont pas vu venir l'humiliation russe, la frustration des populations arabes et sunnites, la demande d'égalité de la Chine. Elles ont donc choisi l'action hors sol contre ceux pour qui la politique avait encore, à nouveau, une importance existentielle. Chaque action militaire réalisée par les pays occidentaux doit donc se réaliser de manière mesurée et concertée avec l'ONU, voire même avec les forces musulmanes d'importance géopolitique locale, afin d'appréhender au mieux les conséquences et les effets dominos de telles opérations.


2- Al-Qaïda et l'Etat islamique pourraient-ils un jour ne former qu'une seule organisation?

Sur le fond, l'Etat islamique et Al-Qaïda sont toutes les deux des organisations islamiques sunnites qui s'inscrivent dans le courant radical appelé "djihadisme" car ce dernier est centré sur la notion de djihad envisagé comme "guerre sainte", mais historiquement, l'EI peut être considéré comme le continuateur d'Al-Qaïda, puisqu'il est né en 2006 de la coalition formée par les combattants d'Al-Qaïda en Mésopotamie (Irak) avec les insurgés d'autres groupes islamistes et nationalistes irakien.

Bien que les méthodes et ennemis soient communs aux deux organisations, il demeure néanmoins des différences doctrinales importantes. Al-Qaïda rejette le califat de l'Etat islamique proclamé le 29 juin 2014, et le fait même qu'Al-Qaïda réagisse si rapidement en créant le 11 juillet 2014 l'émirat du Levant, sous le modèle de l'émirat islamique des talibans, en dit long sur cette différence doctrinale. Alors que les forces de l'Etat islamique sont prêts à assassiner des musulmans ne suivants pas la charia, ou traitant avec des pays ennemis, Al-Qaïda a suivi une ligne plus œcuménique en indiquant que même si certains musulmans ne suivent pas rigoureusement la charia, le principal effort de la lutte armée doit se concentrer sur les mécréants hors de la sphère musulmane.

De même, alors que l'Etat islamique s'est concentré sur le rétablissement d'un califat avec sa capitale (Raqqa) et toutes les caractéristiques d'un proto-état (infrastructure, économie, juges d'application de la charia), les actions terroristes d'Al-Qaïda ont largement été organisé hors du territoire musulman afin de concentrer tous les médias internationaux sur leurs actions terroristes. De plus, Al-Qaïda voit le regroupement en Syrie comme un danger que pourraient exploiter les occidentaux pour éliminer les combattants. De ce fait, l'organisation favorise la création de filiales locales et relativement autonomes.

Malgré le fait qu'il existe des caractéristiques communes tangibles entre les deux organisations, une fusion de ces deux groupes au sein d'une même entité est peu probable, mais il reste néanmoins possible que des actions djihadistes ou un front djihadiste commun puisse être mis en place pour combattre l'occident sur des cibles communes.


3- Quel niveau de danger existe?


Malgré ces tendances alarmantes, les résultats de la recherche expliquent que le terrorisme demeure une menace relativement faible, comparé au banditisme de droit commun. Sur le plan mondial, 13 fois plus de personnes meurent dans des homicides plutôt que dans des attaques terroristes. En termes de concentration du risque, l'Irak, l’Afghanistan, le Nigéria le Pakistan et la Syrie sont les principales cibles des terroristes, regroupant plus de 72% des victimes d'attentats dans le monde. Daech devient l'organisation responsable du plus grand nombre de morts, suivi par Boko Haram (avec près de 5.500 morts en 2015). Ces deux organisations se partagent la première et seconde place depuis plusieurs années.

Malgré la forte médiatisation des attentats terroristes en Occident, il faut donc bien revoir les chiffres au global pour comprendre la situation actuelle et le danger sous-jacent. Un article spécifique déclinera les préconisations pour la lutte contre le terrorisme en France qui a fait l'objet de 161 décès liés au terrorisme en 2015.


4- Quelles sont les conséquences kurdes?

Une certaine inquiétude doit prédominer sur l’indépendance proclamée du Kurdistan d’Irak par les troupes kurdes en Irak, appelées Peshmergas, qui se battent essentiellement pour des motifs ethniques et non pas religieux. Ceux qui y applaudissent ne mesurent pas qu’il y a plus de quinze millions de Kurdes en Turquie, un million en Syrie et quatre millions en Iran.

Par conséquent, soutenir l’indépendance du Kurdistan irakien c’est déséquilibrer l’Irak où les Sunnites de l’Ouest deviendraient très minoritaires. Ce serait ouvrir un cycle de guerres qui s’ajouterait à celui qui prévaut depuis la destruction de l’Etat irakien. On ne dira jamais assez que Daech est la conséquence de la destruction de l’Etat irakien commencé avec la première guerre du Golfe, dont Huntington disait qu’elle était la première « guerre civilisationnelle ». Elle s’est poursuivie par un long et cruel blocus puis enfin par la guerre de 2003 à laquelle Jacques Chirac a eu tout à fait raison de s’opposer.

Pour contrer cette volonté d'indépendance kurde, la Turquie a d'abord laissé l'EI une certaine marge de manœuvre pour éviter l’expansion des troupes kurdes et la prise de contrôle de sa frontière avec l'Irak. Mais l'échec de cette politique l'a conduite à revoir sa position à l'égard de l'EI et à s'engager dans les opérations au sol pour mieux contrôler elle-même le front et la situation aux frontières.

La situation locale est donc composée d'une lutte interne entre plusieurs courants islamo-nationalistes, car tous ces acteurs (Turques, Kurdes, EI) sont des musulmans sunnites qui se battent au nom d'Allah. La seule différence entre eux est leur agenda nationaliste: les Turcs veulent retrouver la gloire de l'ancien Empire ottoman, les Kurdes veulent ériger un Etat souverain sur les décombres des pays existants et l'EI veut finir la construction de son "Etat du Califat".


Sources


http://www.investigaction.net/fr/lislamisme-sunnite-3-geopolitique-de-lislamisme-au-xxe-siecle/
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Sayyed-Qutb.html
http://www.monde-diplomatique.fr
http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170504.OBS8965/freres-musulmans-conferences-polemiques-10-choses-a-savoir-sur-l-uoif.html
http://www.france24.com/fr/20170502-hamas-charte-prend-distances-freres-musulmans-mechaal-etat-palestinien
http://www.recherches-sur-le-terrorisme.com/index.html
http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Les-18-principaux-groupes-islamistes-armes-dans-le-monde-2014-09-23-1210674
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2016/02/05/31003-20160205ARTFIG00415-uoif-freres-musulmans-salafisme-le-dessous-des-cartes.php
http://www.universalis.fr/encyclopedie/freres-musulmans/
https://projects.voanews.com/boko-haram-terror-unmasked/french.html
https://etudesgeostrategiques.com/tag/boko-haram/
https://francais.rt.com/international/10655-terrorisme-bokoharam-daesh
http://chroniquepalestine.com/le-hamas-et-le-monde/
https://www.rtbf.be/info/dossier/l-etat-islamique-menace-t-il-le-monde/detail_al-qaida-vs-etat-islamique-quatre-cles-pour-comprendre-l-opposition?id=8341097

2- YOUTUBE – LE DESSOUS DES CARTES


L’ISLAM EN CONFLIT (2 parties)

Qu’est-ce que le salafisme ?


Les jeudis de l’IMA (Institut du Monde Arabe) : Qui sont les salafistes ?

La Confrérie, enquête sur les Frères Musulmans (Documentaire entier diffusé sur France 3)

documentaire "La Confrérie, enquête sur les Frères musulmans", écrit et réalisé par Michaël Prazan, diffusé sur France 3, le 22 mai 2013.


3- Littérature

  • Etat du monde arabe - Mathieu Guidère - Editions de Boeck (2015)
  • L'Etat islamique en 100 questions - Mathieu Guidère - Edition Tallandier (2016)
  • Le retour du Califat - Mathieu Guidère (2016)
  • Atlas du terrorisme islamiste, d'Al Qaida à Daech - Mathieu Guidère (2016)
  • Mémoire de paix pour temps de guerre - Dominique de Villepin - Grasset (2016)
  • Le Ben Laden du Sahara : Sur les traces du jihadiste Mokhtar Belmokhtar –  Lemine Ould M. Salem - Edition de la Martinière  (2014)




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