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dimanche 4 juin 2017

Politique étrangère et relations avec le Qatar

Le Qatar est un des pays du Golfe Persique, qui ne fait donc pas partie des 7 émirats des Emirats Arabes Unis, dont la capitale est Doha. Il est voisin de Bahreïn, de l'Arabie Saoudite, des E.A.U. et de l'Iran située de l'autre coté du Golfe Persique. La particularité de ce pays réside dans un grand déséquilibre hommes-femmes avec 3 hommes pour une femme, et un nombre de citoyens non-qataris sur le territoire d'environ 85%. Au total le pays compte 2.3 millions d'habitants. Cette micro-monarchie est pourtant de plus en plus présente dans les discussions politiques, les débats internationaux et fait souvent la une des journaux lors de ses investissements en France et en Europe. Cet article propose une synthèse sur ce pays nourri de contradictions.

Le Qatar: un pays entre modernisme et wahhabisme...


Situation du pays


Le Qatar est un protectorat britannique jusqu'en 1971 qui prend son indépendance et renonce par la même occasion, avec l'émirat de Bahreïn, à rentrer dans la fédération des Emirats Arabes Unis. La dynastie de la famille Al-Thani a le pouvoir au Qatar depuis la fin du XIXème siècle et le nouveau émir du Qatar, le jeune Tamim bin Hamad Al-Thani, a succédé à son père en 2015. C'est grâce à son père, l'émir Hamad Al-Thani au pouvoir de 1995 à 2013, que le Qatar est devenu la puissance qu'elle est aujourd'hui, mais le caractère exubérant du père fait place à une personnalité plus discrète avec le jeune émir Tamim. Cheikha Moza, fut avec la reine Rania de Jordanie, et Asma El Assad (jusqu’en 2011) l’une des first lady la plus connue du monde arabe, et une des plus progressiste, ce qui ne plaisait pas toujours à la population qatarie bien plus rigoriste et traditionaliste. Profondément wahhabite, la société qatarie n’apprécie guère la cheikha qui restent une roturière issue d'une famille de marchands, et non une bédouine.

Avec son armée de 15.000 hommes (composée de 90% d'étrangers), le Qatar ne résisterait pas à un éternuement de ses deux puissants voisins. Pour sa survie, il a misé sur le soft power, autrement dit l'influence économique et médiatique plutôt que militaire.


Le Qatar détient 15% des réserves mondiales prouvées de gaz naturel, soit la 3ème réserve mondiale, et devient depuis 2013 le 4ème producteur mondial de gaz naturel derrière les Etats Unis, la Russie et l'Iran. Le plus important gisement se trouve offshore au Nord du pays, et se prolonge jusqu'aux eaux maritimes de l'Iran.



De part sa géographie péninsulaire, le Qatar a opté pour une exportation de son gaz par liquéfaction, devenant ainsi le premier pays au monde en capacité de production de GNL (Gaz Naturel Liquéfié). Le complexe de Ras Laffan au nord du pays s'étend sur 300 Km2 et fait travailler quelques 115.000 personnes.

Site qatari de Ras Laffan qui s'étend sur 295 kilomètres carrés et se situe tout au nord de la péninsule.
En 2013, L'Europe absorbait 22% des exportations gazières du Qatar. Grace à ses exportations le Qatar affiche le 3ème PIB par habitant le plus important au monde avec 98.986$ / habitant, derrière le Luxembourg et la Norvège. Les réserves de devises et d'or de la banque centrale qatari dépasse désormais les 40.000 milliards de dollars depuis 2014.

D'un point de vue organisation politique, le Qatar est entièrement dirigée par la famille de l'émir et seule un conseil consultatif dont les membres sont désignés par le pouvoir, donne un semblant de pouvoir donné au peuple...

Politique d'investissement du Qatar


La Qatar Investment Authority est responsable de gérer la manne financière et de transformer cette rente pétrolière en rente financière. Elle a investit dans une quarantaine de pays dans le monde, ce qui lui permet de créer autant de leviers politiques et diplomatiques.

Les secteurs privilégiés d'investissements sont les suivants:

  • Investissement Immobilier (par exemple via le rachat du quartier d'affaires de Canary Wharf à Londres): c'est la Qatar Holding qui est en charge de tous les aspects liés aux acquisitions immobilières.
  • L'agriculture (notamment en Afrique noire, au Soudan)
  • L'Industrie (exemple avec la prise de part dans le groupe allemand Volkswagen)
  • Le Sport (rachat du PSG en France ou de façon plus incroyable la mise en place d'un tour du Qatar cycliste en embauchant Eddy Merckx; organisation de la coupe du monde de football en 2022; clinique du Sport à Doha)
  • L'éducation: chasse gardée de la cheikha Moza, la Fondation du Qatar pour l’éducation qu’elle a fondé et qui permet à deux millions d’enfants dans le monde d’être scolarisés notamment en Irak et à Gaza. Éducation encore, c’est elle qui a créer le prix WISE (Word Innovation Summit for Education) qui récompense chaque année une innovation dans le domaine de l’éducation avec à la clé 500.000 dollars. Éducation toujours, c’est elle qui fut à l’origine de la construction d’un immense campus au Qatar qui abrite des filiales d’HEC (admise après 4 ans de durs efforts liés au protectionnisme américain), de Georgetown ou encore de Canergie Mellon.
  • La médecine: avec le projet SIDRA qui se compose d’hôpitaux high-tech et de centres de recherches dernier cri, le Qatar a investi ici 8 milliards de dollars pour ambitionner de devenir la référence de la médecine au Moyen-Orient.
La création, au début du règne de Hamad Al-Thani, de la chaîne d'information Al-Jazirah a également été un outil de propagande pour le Qatar, notamment par le traitement très politique des révolutions arabes de 2011, soutenant ouvertement les révolutionnaires, mais ne parlant pas des révoltes secouant son voisin au Bahreïn.


La situation religieuse et le désir d'influence internationale


Le Qatar est très majoritairement sunnite (environ 90% de sa population). Pour rappel, les sunnites représentent dans le monde musulman 87% à 90% des musulmans qui se divise en 4 grandes écoles juridiques dont celle suivant le rite hanbalite.

Carte du Moyen-Orient indiquant les présences sunnite et chiite
Les hanbalites est le courant le plus conservateur; c'est un islam sunnite pur et dur, parfaitement conforme à la tradition du Prophète.

On peut distinguer les courants suivants dans la mouvance hanbalite:

  • wahhabites : secte dissidente et moralisante
  • salafistes
  • quiétistes : ils pensent – comme une majorité de salafistes – que les musulmans devraient se retirer de la vie politique. Ces salafistes “quiétistes” sont d’accord avec l’EI pour affirmer que la loi de Dieu est la seule valable. Ils rejettent aussi les pratiques comme les élections et la création de partis politiques.
  • djihadistes
  • politisés

Les sunnites acceptent un mélange du pouvoir politique et religieux ; il n’y a pas d’intermédiaire entre le croyant et Allah, et l’imam n’a qu’un rôle de pasteur. Lors de la prière, il lit des passages du Coran et les commente.

L’Arabie Saoudite tire son positionnement religieux du wahhabisme qui estime que les chiites ne sont pas des musulmans. Le wahhabisme est un mouvement politico-religieux saoudien, fondé au XVIIIème siècle par Mohammed ben Abdel Wahhab. Selon cette vision puritaine et rigoriste qui se veut issue de l'islam sunnite hanbalite, l'islam devrait être « réformé » pour revenir à sa « forme originelle » qu'il définit selon une interprétation littéraliste et conservatrice du Coran et des hadiths.

En plus de l’Arabie Saoudite, le Qatar est l’un des principaux pays wahhabite du Golf.

On peut distinguer deux grandes branches qataries :

  • les Houwalah, des sunnites venus des régions arabes du Sud de l’Iran et de la péninsule Arabique.
  • Les Baharanah, d’origine chiite, originaires du Bahreïn et de l’Iran

L'émirat ne réagit souvent pas en terme religieux pures mais en opportunités financières et politiques, ce qui est conforme avec la vision sunnite. Quand l'émirat accueille le cheikh Youssef El-Qaradawi expulsé d'Egypte, c'est pour bénéficier de ses amis Frères musulmans qui disposent de structures organisées au sein du monde arabe sunnite. Al-Jazirah se fera un écho médiatique de ce prédicateur parmi les plus écoutés dans le monde sunnite. Ultimement c'est un bon moyen de peser régionalement face à l'Arabie Saoudite qui ne souhaite aucune remise en cause de sa suprématie de son rôle de leader du monde sunnite.

Liens avec la France


Dans les années 1970-1980, l'armée qatarie s'est principalement équipée en matériel militaire français, avec des achats d'escadrilles de Mirage 2000, d'hélicoptères Gazelle et Puma, ainsi que des chars AMX et des vedettes. Depuis cette date, Paris a toujours œuvré pour aider le Qatar autant en moyen matériel qu'humain à la défense et la formation de l'armée qatarie.

Valery Giscard d'Estaing en visite au Qatar, parlant à l'émir Khalifa al-Thani (1980)
Le rôle militaire du Qatar dans le conflit libyen est un autre exemple de relation difficile avec la France. Doha s'implique rapidement en 2011 pour aider les rebelles libyens contre le pouvoir central de Kadhafi. Le Qatar engage même des Mirage 2000 dans le conflit pour aider les opposants au régime de Tripoli. Néanmoins, le Qatar commence à faire cavalier seul et manque de transparence envers ses alliés américains et européens: un sujet remonté par Sarkozy lors de la visite de l'émir à Paris. Il devient clair que le Qatar n'aide pas seulement le CNT libyen (officiellement reconnu par la communauté internationale) mais également les rebelles islamistes, dont Belhadj.

Le couple Sarkozy-Bruni accueillant l'émir du Qatar Hamad bin Khalifa al-Thani et sa femme, la cheikha Moza (2009)
En accueillant le nouvel émir Tamim à l'Elysée en 2016, le président français perpétue la continuité diplomatique avec l'émirat. En devenant le nouvel émir du Qatar le 26 Juin 2013 via une passation de pouvoir du vivant de son père cheikh Hamad, le prince Tamim bin Hamad al-Thani s'est émancipé du pouvoir précédant, et souhaite devenir un émir gestionnaire et prudent.

Le président Hollande et le nouvel émir du Qatar, Tamim bin Hamad al-Thani

Nos élites adorent finalement le Qatar, qu'ils soient de gauche ou de droite. Chaque année de nombreux dirigeants se pressent au Forum de Doha pour discuter politique et démocratie, de Dominique de Villepin, en passant par Ségolène Royal, ou encore Rachida Dati avec son expérience malheureuse de vouloir créer au Qatar une école de la Magistrature!

L'émir invite chaque année à son Forum de Doha plus d'une cinquantaine d'élus de la République... Ceci pose quelques questions sur la volonté sous-jacente d'une telle offre. Sur le plan des institutions politiques françaises, il existe à l'Assemblée Nationale un groupe d'amitié France-Qatar composé d'une cinquantaine de parlementaires de toute tendance (53 parlementaires exactement), et qui entretien un rapport étroit avec l’émirat et son Ambassade parisienne.

Le Sénat a quant à lui un groupe d'amitié France-Pays du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït et Qatar) regroupant 33 sénateurs dont pour le plus connu Serge Dassault.

Le fait que le Qatar accueille Al-Qaradawi sur son sol est problématique pour la France: sous couvert de religion, il prêche la haine et la violence. La Confrérie des Frères musulmans est parvenue à accréditer l'idée qu'elle est comparable à un parti politique démocrate-chrétien. Sa venue en France en 2012 au Bourget lors d'un congres de l'UOIF (Union des Organisations Islamistes de France) a été perçue comme plus qu'inopportune...Et la récupération politique par le Front National est également intéressante à analyser: Marine Le Pen en voyage en Egypte en mai 2015 aurait été financée par les Emirats Arabes Unis qui ont trouvé dans la cheffe du Front National un ennemi direct commun, les Frères musulmans, organisation islamiste faisant partie de la liste noire des E.A.U.. Lors de son voyage, Marine Le Pen a notamment rencontré le président égyption al-Sissi, dont elle a fait l'éloge. Adversaire des Frères musulmans, le président al-Sissi est soutenu par les Émirats arabes unis.

Conclusions


Longtemps concentré en Europe et aux Etats Unis, le soft power est maintenant bien compris des autorités qataries! L'enjeu véritable pour le nouvel émir Tamim sera de garder la dynamique amorcée par l'organisation de la coupe du monde de football de 2022.  Il faudra que Doha concurrence Dubaï dans l'organisation de conférences internationales.

A la fois progressiste par la famille dirigeante, mais toujours nourri d'un wahhabisme profondément encré dans la plupart des 200.000 qataris, les antinomies sont souvent présentes au Qatar! Souhaitant continuer à accentuer son soft power un peu partout dans le monde, il investit, parle avec tout le monde, que ce soit des démocrates ou des islamistes salafistes, et son implication financière n'est jamais dénuée d'un intérêt pour servir le pays.

Le Qatar doit néanmoins faire progresser les droits de l'Homme dans son pays notamment en vue de la coupe du monde de football de 2022: le système du sponsoring pour tout immigré doit cesser; ce système qualifié par l'ONG Human Rights Watch de "travail forcé", demeure encore en vigueur en Arabie Saoudite et au Qatar, et contribue à garder une relation asymétrique entre qataris et étrangers. Les autorités de Doha sont conscientes du caractère anachronique du système de sponsoring des étrangers, qu'on appelle "kafala" en arabe, mais le Qatar ne reforme pas rapidement ce système malgré une loi édulcorée et trompeuse qui entrera en vigueur en 2018 et donnera les autorisations de sorties du territoire au ministère de l'Intérieur, et non plus à l'employeur.

Le Qatar reste un pays "ami avec tout le monde" qui entretient des relations ambiguës avec certains états et groupes terroristes, mais qui permet également aux diplomaties occidentales d'avoir un lien avec toutes ces mouvances. Il demeure un pays allié, et un client de taille pour les exportations françaises. Son appétence politique et financière n'est pas sans gêner le leadership saoudien, voire les autres monarchies pétro-dollars qui regardent ce dernier avec énervement.

En 1981 est créé le Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui regroupe l'Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar. Trois de ces pays (Arabie saoudite, Emirats, Bahreïn), ainsi que l'Egypte, ont tour à tour annoncé lundi 05 Juin 2017 la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, qu'ils accusent de "soutien au terrorisme", y compris Al-Qaïda, le groupe Etat islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans. La coopération économique  du Qatar avec l'Iran chiite dans l'exploitation de gaz offshore pourrait être plus logiquement la raison sous-jacente de cette ligue soudainement créée contre le Qatar.

Doha et Téhéran exploitent conjointement un site gazier offshore au sud du Golf Persique

Evolution de la production de gaz naturel du Qatar et des Emirats Arabes Unis

Il s'agit de la crise diplomatique la plus grave depuis la création du CCG - principalement créé pour contrer l'Iran chiite voisine - , qui isole ainsi un peu plus le Qatar dans le Moyen Orient.

Sources

Qatar, les secrets du coffre-fort (2013) par Christian Chesnot et Georges Malbruneau
Nos très chers émirs (2016) par Christian Chesnot et Georges Malbruneau
Une France sous influence: Quand le Qatar fait de notre pays son terrain de jeu (2014) par Pierre Péan et Vanessa Ratignier

http://www.lepoint.fr/economie/nos-chers-amis-les-qataris-14-06-2012-1485260_28.php
http://qatarambassade.com
http://lelab.europe1.fr/pour-florian-philippot-ce-nest-pas-un-probleme-que-marine-le-pen-se-fasse-payer-un-voyage-en-egypte-par-les-emirats-arabes-unis-2893016
https://fr.news.yahoo.com/larabie-legypte-emirats-bahre%C3%AFn-rompent-qatar-043856590.html


Le dessous des cartes: Le Qatar, puissance régionale et mondiale



2 commentaires:

  1. Rappelons également le reportage allemand des journalistes de ZDF qui ont filmés en 2015 le chantier gigantesque de construction des infrastructures qataries pour l'accueil de la Coupe du monde de football en 2015: alors qu'ils avaient filmés les travailleurs népalais et leurs conditions de travail, ils ont été bloqués pendant près de 5 jours sur le territoire.
    Pour les germanophones, ce document peut être visionné sur YouTube: https://www.youtube.com/watch?v=t3SF51Fo07E

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  2. Je signale également la très bonne émission du site Arrêt sur Images sur le Qatar:
    http://www.arretsurimages.net/emissions/2017-06-09/Les-Qataris-sont-mauvais-en-communication-id9933

    Avec comme invités Georges Malbrunot, journaliste au Figaro, co-auteur avec Christian Chesnot du livre Nos très chers émirs (octobre 2016), Nabil Ennasri, directeur de l’Observatoire du Qatar et doctorant à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, et Sihem Souid, fondatrice d’Edile Consulting, agence de communication qui a géré les relations presse de l’ambassade d’Arabie saoudite et celle du Qatar.

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