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dimanche 3 août 2025

Histoire monétaire de la France, du franc et de l'Euro

Cet article se propose de retracer les dates et événements clef de l'histoire monétaire européenne moderne, afin de mieux comprendre la situation économique actuelle et d'en analyser les conséquences locales sur l'économie française. Il se propose de donner au lecteur les clefs de lecture essentielles à une bonne compréhension du système monétaire de la zone euro, en soulignant ses mécanismes et sa complexité.

Pour un rappel détaillé des dates importantes de la construction européenne jusqu'à l'Europe des 27, un article plus généraliste peut être consulté en suivant ce lien.


Histoire monétaire de la France, du Franc et de l'Euro


À partir du XIXe siècle, la France entre dans une ère de profonds bouleversements monétaires qui vont façonner son identité économique et sociale. Le franc, déjà ancré dans le paysage national, devient le témoin des grandes mutations : de l’instabilité monétaire consécutive aux guerres napoléoniennes aux évolutions politiques majeures du siècle, chaque régime impose sa marque sur la monnaie et sa gestion. Les soubresauts économiques du XXe siècle, marqués par les deux guerres mondiales, la crise des années 1930 et les épisodes d’inflation, amènent la France à repenser plusieurs fois sa politique monétaire, des dévaluations successives à la création du nouveau franc en 1960. À l’aube du XXIe siècle, l’hexagone connaît un tournant décisif avec l’intégration européenne et le passage à l’euro, symbole fort de la volonté d’unir les destins économiques du continent. L’histoire monétaire moderne de la France est ainsi une histoire de réformes, d’adaptations et de continuités, témoin des défis mais aussi des opportunités d’un pays en perpétuel mouvement.


I - Introduction et rappel historique d'avant-guerre


De 1878 à 1939, la France a expérimenté les principaux systèmes monétaires possibles. Cela a permis d'apprécier le degré d'efficacité des mécanismes régulateurs qu'ils mettent en jeu, ainsi que leurs effets perturbateurs.

À partir de 1878, la France restaure la convertibilité des billets de la Banque de France en pièces d’or ou d’argent. Le franc s’appuie alors sur l’étalon-or : il devient une monnaie solide avec un taux de change stable, facilitant les échanges internationaux, notamment avec le dollar dont la valeur est également fixée à l’or. De 1878 à 1914, le franc a donc fondé sa valeur sur des pièces d'or, qui circulaient en même temps que des billets convertibles. Grâce à ce système, une parfaite fixité des cours du change du franc en les autres monnaie-or est assuré et une remarquable stabilité du coût de la vie est ainsi obtenue. Ce système, partagé avec d’autres pays via l’Union latine, garantit jusqu’en 1914 une grande stabilité monétaire, la valeur du franc en or assurant une convertibilité automatique avec le dollar et les autres devises-or.

Le début de la Première Guerre mondiale en 1914 entraîne la suspension de la convertibilité-or du franc : la monnaie devient de « papier », purement fiduciaire. La France connaît alors une forte inflation et une dépréciation du franc. Le pouvoir d’achat s’effondre, le taux de change du franc face au dollar chute brutalement : alors que 1 dollar valait 5 francs en 1918, il en vaudra plus de 30 en 1926. Les crises de change s’enchaînent, culminant en 1924 et 1926. Ces années sont marquées par des dévaluations répétées, et une spéculation intense autour du franc, qui perd ainsi 75 % de sa valeur par rapport à 1914.

De 1914 à 1936 la convertibilité des billets, à un taux fixe, en lingots d'or, sans circulation de pièces d'or, n'évite pas que la balance des paiements courants soit d'abord largement excédentaire puis fortement déficitaire. Elle n'assure pas une stabilité des prix, qui sont dans un premier temps en hausse, puis en baisse, à l'inverse de ce qui se passe dans le même temps à l'étranger.

En 1926, le gouvernement Poincaré met en place des mesures d’austérité qui stabilisent la situation : la confiance revient et le franc se stabilise. En 1928, la France restaure officiellement la convertibilité du franc en or (« franc Poincaré »), mais à une parité bien inférieure à celle d’avant-guerre (divisée par cinq). Concrètement, cela signifie que le franc peut être échangé contre des lingots d’or à un taux fixe. Toutefois, il ne s’agit plus de pièces d’or en circulation : seuls les lingots sont accessibles, ce qui limite l’accès réel à la convertibilité pour le grand public. Néanmoins, cette étape permet de réancrer la monnaie française dans un système monétaire international aurifère, facilitant de nouveau la conversion du franc en dollar via l’or.


II - Le Front populaire et la genèse de la politique monétaire française (1936 - 1948)


Le cours forcé du franc indexé sur l'or, instauré en 1914, n'a été qu'en partie supprimé en 1928, puis rétabli en 1936. Depuis cette date, la valeur du billet repose essentiellement sur la confiance que le public lui accorde, confiance elle-même fondée sur une saine gestion monétaire. L'or a ainsi cessé d'être un moyen de règlement interne pour devenir uniquement une réserve de change que la Banque de France a été naturellement appelée à administrer. Elle fut donc conduite à surveiller les fluctuations des cours des devises étrangères. 

Bien entendu, le Bloc-or apparait comme une absurdité, car le franc ne peut maintenir sa parité-or d'avant la Grande Dépression, alors que la livre sterling a été dévaluée en 1931 (et en même temps a cessée d’être convertible en or) et le dollar américain en 1933. Malgré cela, Léon Blum et ses ministres restent ancrés autant que les gouvernements précédents, dans leur refus de toucher au taux de change, ce qui fait que les prix français sont dorénavant bien plus élevés qu'en dollar ou en livre sterling. 

On sait que le gouvernement décidera finalement de dévaluer le 1er Octobre 1936 et que la dévaluation n'eut pas les effets escomptés, sans doute parce que trop limitée (dévaluation de 35% alors qu'il aurait fallu 45%). Mais lorsque en 1934 et 1935 les graves inconvénients de cette surévaluation du franc apparaissent de plus en plus manifestes, le refus, aussi bien par des partis de gauche que par les gouvernements de droite alors au pouvoir, de toute dévaluation du franc devient une grave erreur de politique économique.

En 1936, l’État confie à la Banque de France la gestion du Fonds de stabilisation des changes (FSC), créé par la loi du 1er octobre 1936. Ce Fonds n'a pas d'existence physique, il n'a même pas la personnalité juridique : c'est une simple institution comptable, que la Banque gère pour le compte de l'État et dans le cadre des instructions générales du ministre de l'Économie et des Finances. Cela signifie d'une part que la Banque est un mandataire — aux pouvoirs, en réalité, très souples — et, d'autre part que les profits et pertes résultant des opérations du Fonds échoient au Trésor, seul doté de la personnalité juridique et qui doit maintenir solvable le compte associé au Fonds et géré par la Banque. Le produit de la liquidation éventuelle du Fonds doit être consacré par l'État au remboursement des prêts que la Banque lui a consentis.

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement provisoire de la France, présidé par le général de Gaulle, met en place un Plan de modernisation via le décret de 4 janvier 1947. Ce plan permet de rassurer les États-Unis dans leur soutien économique et financier à la France. Dans ce contexte d'après-guerre, les excellentes relations qu'entretenait Jean Monnet avec les États-unis ont sans doute permis d'assurer un montant suffisant de financements américains, notamment à partir de la seconde moitié de 1944 via le mécanisme de prêt-bail (lend-lease).


III - L'après-guerre de 1948 à la naissance de l’Écu en 1979


Robert Marjolin (1911 - 1986)
Entre 1948 et 1963, la France traverse une période charnière de reconstruction et d’ouverture, marquée par la forte interaction entre le renouveau national et le projet européen. Au sortir de la guerre, Robert Marjolin, haut fonctionnaire influent, joue un rôle crucial dans la relance économique du pays, notamment en dirigeant l’application du plan Marshall et en participant à la création de l’OECE, ancêtre de l’OCDE. Dans ses mémoires, il souligne les arbitrages permanents entre souveraineté monétaire, besoin de croissance et coopération avec les alliés occidentaux, la France devant à la fois jongler avec ses fragilités économiques propres et préserver son statut international.

Cette dynamique est inséparable de l’action de Jean Monnet, souvent qualifié de « père de l’Europe », dont la vision est celle d’un continent pacifié par l’intégration économique. Commissaire général du Plan, Monnet impulse la planification à la française et, par la déclaration Schuman (1950) et la création de la CECA, jette les bases de l’union économique européenne. Sa conviction est que seule l’union, via des institutions supranationales fortes, permettra à la France de peser dans le nouvel ordre mondial et de ne pas rester à la remorque des deux grands blocs. Tant Marjolin que Monnet ont une vision très fédéraliste de la construction européenne, et les interactions avec de Gaulle après son retour au pouvoir en 1958, sont souvent sources de dissensions importantes.

Monnet et Marjolin participent ensemble à la négociation des traités fondateurs de l’Europe, incarnant les deux faces de la démarche : technocrate pour l’un, politique pour l’autre. Le franc français, surveillé par les institutions de Bretton Woods, reste soumis à de fréquentes dévaluations, illustrant les tensions entre rigueur budgétaire, ambition sociale et stabilité monétaire, que Marjolin expose dans ses mémoires comme un défi constant de la période. Les années 1958-1963 voient l’adaptation de la France au Marché commun, la sortie progressive des restrictions sur les changes et la recherche d’une place forte pour Paris dans la future Europe unie, ambitions portées par les deux hommes sur la scène internationale.

Une brève biographie de ces deux acteurs clef que sont Robert Marjolin et Jean Monnet peut être lue en consultant l'article consacré aux Pères de l'Europe.


24 Octobre 1962 et le Mémorandum Marjolin

En octobre 1962, le Parlement européen se prononce en faveur d'une politique monétaire commune qui remplace, à longue échéance, la politique coordonnée entre États. Cette unification monétaire est envisagée comme une condition essentielle à la réalisation de l'unité économique et politique de l'Europe. Sa mise en œuvre suppose l'institution progressive d'une organisation fédérale des banques d'émission de la CEE avec une institution centrale chargée de la politique monétaire communautaire.

C'est la première fois que l'idée d'une monnaie unique commune aux États membres de la CEE a été évoquée dans un rapport de la Commission européenne. Il marque une étape importante de la réflexion européenne sur l’intégration économique, alors en pleine construction, et propose d’aller au-delà de la simple union douanière. Il pose ainsi les bases d’une coordination renforcée des politiques économiques et monétaires des États membres.

Ce texte insiste sur la nécessité de « programmer » collectivement le développement économique européen, à la manière d’une planification indicative, afin d’assurer la convergence des économies nationales, de lancer de grands projets communs et de renforcer la cohérence des politiques publiques. Le mémorandum aborde des sujets clés comme l’harmonisation des politiques budgétaires, la coopération monétaire (notamment la stabilité des monnaies européennes et la prévention des déséquilibres de balance des paiements), ainsi que l’amélioration du fonctionnement du marché commun.


30 octobre 1970 et le rapport Werner

La Commission européenne rédige une communication adressée au Conseil dans laquelle elle se dit favorable au rapport Werner, « concernant la réalisation par étapes de l'union économique et monétaire de la Communauté ».

Le rapport Werner du 30 octobre 1970 correspond au document fondamental qui a défini les grandes lignes de la future Union économique et monétaire européenne (UEM). Élaboré à la demande du Conseil européen, ce rapport est le fruit des travaux d’un comité d’experts présidé par Pierre Werner, alors Premier ministre et ministre des Finances du Luxembourg. Il propose d’organiser la construction de l’UEM selon un plan en plusieurs étapes, avec pour objectif final l’adoption d’une monnaie unique européenne, la suppression des fluctuations de change entre les monnaies des États membres, et une intégration approfondie des politiques économiques et budgétaires.

Le rapport préconise des transferts importants de compétences des États membres vers des institutions communautaires, notamment dans la définition de la politique monétaire et budgétaire, la centralisation de la création monétaire, l’harmonisation des politiques de crédit et de capitaux ainsi que la coordination des politiques structurelles et régionales. Il insiste aussi sur la nécessité d’une consultation systématique des partenaires sociaux au niveau européen.

Sur la base de ce rapport, la Commission européenne, le 30 octobre 1970, adresse au Conseil une communication dans laquelle elle se déclare globalement favorable aux propositions du « plan Werner » et soumet un projet de décision concernant le renforcement de la collaboration des banques centrales, première phase concrète d’instauration de la solidarité monétaire organisée au sein de la CEE. Ces recommandations serviront de point de départ à la mise en œuvre, à partir de 1971, du processus graduel de l’union économique et monétaire, bien que celui-ci ait été ralenti par les crises monétaires internationales au début des années 1970.


10 Avril 1972 : Création du Serpent monétaire européen

À la suite de l'écroulement du système de Bretton Woods en 1971 - qui devait initialement éviter les secousses monétaires internationales - le processus ne peut aboutir, du fait de l'instabilité des cours de change. C'est à ce moment-là que l'Europe prend conscience de la nécessité d'une zone de stabilité monétaire. Une première initiative est prise à Bâle (Suisse) le 10 avril 1972 avec la création du Serpent monétaire européen. Les accords prévoient alors un engagement de la part des gouverneurs des banques centrales pour réduire la marge de fluctuation entre les monnaies des États membres à un écart maximal de 2,25 % autour d'une parité fixe.

Cependant, cet instrument disparaît en quelques semaines. Les fortes tensions sur les marchés qui résultent des crises pétrolières, de la faiblesse du dollar ou encore des divergences économiques et politiques des différents pays impliqués, empêchent en effet la plupart des États membres de contrôler leurs taux de change.

ATS: Schiling autrichien - BEF: Franc Belge - DEM: Deutsche Mark allemand - ESP: Peso espagnol - FIM: Marka finlandais - FRF: Franc français - GRD: Drachme grecque - ITL: Lire italienne - NLD: Florin néerlandais - PTE: Escudo portugais

On voit sur ce graphe la forte dévaluation de toutes les monnaies qui constitueront le futur panier de devises de la zone euro. À part le Schilling autrichien fortement corrélé à son voisin allemand, les autres devises dévissent toutes très fortement par rapport au deutschemark sur la période allant de 1971 à la date de fixation de parité contre l'Euro.


Un rappel important de la loi Pompidou-Giscard dite « loi de 1973 »

La loi no 73-7 du 3 janvier 1973 est une loi française, qui modifie le statut de la Banque de France et précise notamment les conditions autorisant l'État à emprunter auprès de la Banque de France. Cette loi est également appelée « loi Pompidou-Giscard » ou « loi Pompidou-Giscard-Rothschild » par l'extrême droite, ou encore « loi de 1973 ». Elle fait l'objet, encore aujourd'hui, de vives discussions quant à ses conséquences possibles sur la gestion de la dette étatique.

Cette loi est élaborée à l'initiative conjointe du gouverneur de la Banque de France, Olivier Wormser, et du ministre de l'Économie et des Finances, Valéry Giscard d'Estaing. Ces dernières années, la loi du 3 janvier 1973 est au cœur d’un débat sur l’endettement public et la création monétaire. Pour la gauche radicale (Front de gauche, ATTAC, Fondation Copernic, La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon), la droite nationaliste et souverainiste (Front national historique, Debout la République), mais aussi pour Michel Rocard, cette loi marquerait une rupture dans les relations financières État/Banque de France, stoppant la possibilité de « battre monnaie » pour financer les dépenses publiques et d’obtenir des concours de la Banque de France à coût nul.

La loi de 1973 préserve très clairement la possibilité pour l’État de se financer auprès de la Banque de France – même gratuitement par le moyen d' « avances », dont le coût est nul pour le Trésor, mais les montants sont plafonnés – et la maintient sous une forte tutelle. Il n’y a pas de rupture nette : la loi acte seulement l’expertise de la Banque de France dans le domaine monétaire.

L’article 19 maintient la possibilité pour le Trésor d’obtenir des avances et des prêts, « les conditions dans lesquelles l’État peut obtenir de la Banque de France des avances et des prêts sont fixées par des conventions passées entre le ministre de l’Économie et des Finances et le gouverneur, autorisé par le Conseil général. Ces conventions doivent être approuvées par le Parlement ». Une convention de trésorerie du 17 septembre 1973 fixe ainsi le montant des concours de la Banque de France à 20,5 MdF, dont la moitié à titre gratuit.

Dans l'objectif de mise en conformité du statut de la banque de France avec les obligations issues du traité de Maastricht, cette loi a été abrogée par l'article 35 de la loi d'août 1993 relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, l'abrogation ayant pris effet à la date d'installation des nouveaux organes de l'institution, soit au plus tard le 1er janvier 1994.

En résumé : la loi de 1973, abrogée depuis 1993, peut difficilement expliquer la crise de la dette de 2008. Loi votée en France, elle peut difficilement expliquer la hausse de la dette aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon. En France même, la loi ne change rien d’essentiel à la gestion dynamique de la dette étatique. Avant comme après, le Trésor ne peut pas présenter directement ses bons du Trésor à l’escompte. Mais la Banque de France escompte ou achète à l’open market les bons du Trésor détenus par les banques de second rang. Avant comme après, le Trésor peut obtenir des avances de la Banque dans le cadre d’un plafond fixé par une convention votée par le parlement. Il faut insister sur ce point car un argument sans cesse répété est que, depuis 1973, l’État ne peut plus financer ses activités par le recours à la Banque de France.

Or, lors de la relance Chirac-Fourcade de 1975 (qui représentait 2,8% du PIB), plus de la moitié des dépenses (1,5 point de PIB) ont été financées par une avance de la Banque de France au Trésor. Preuve, s’il en fallait une de plus, que la « loi de 1973 » ne fait obstacle à un financement monétaire des dépenses publiques. En effet, l'État n'a pas fait appel au marché obligataire, laissé aux entreprises. Le déficit budgétaire a été financé principalement sur ressources monétaires; le moyen utilisé a été l'émission de bons du Trésor en comptes courants à partir de juin 1975. Au total, la masse monétaire M2 a cru de 18,2 % dont 5,5 % pour la contrepartie « Créance sur le Trésor public ».

En conclusion, la dénomination « loi Pompidou-Giscard-Rothschild » utilisée par ses détracteurs fait référence à des théories selon lesquelles la réforme aurait été adoptée sous l’influence de la haute finance pour forcer l’État à recourir aux marchés privés, ce qui aurait alimenté la dette publique. Cette interprétation est contestée par de nombreux économistes et historiens, qui rappellent que l’État se finançait déjà sur les marchés avant 1973 et que la suppression du financement direct par la banque centrale s’est faite progressivement sur plusieurs décennies, notamment sous l’influence des normes européennes.


IV - De l’Écu, simple unité de compte, à la création de la monnaie unique: l'Euro (1979 - 2002)


L'idée de créer une monnaie unique à l'ensemble de la Communauté économique européenne (CEE) fait une première apparition dans les années 1960. Le projet de mise en place d'une monnaie unique n'était pas prévu initialement par les traités européens, car les six participaient déjà au système monétaire international de Bretton Woods qui fixait les cours de change des monnaies.


13 Mars 1979 : Création de l’Écu avec le Système Monétaire Européen (SME)


Les 7 et 8 avril 1978, à l'occasion du Conseil européen de Copenhague, le président français Valéry Giscard d'Estaing et le chancelier allemand Helmut Schmidt relancent le projet de La Haye visant à construire une Europe plus politique, et initient la création d'un Système monétaire européen (SME). Celui-ci voit le jour le 13 mars 1979.

Le SME reprend le principe de réduction de la marge de fluctuation propre au serpent monétaire, mais va plus loin en proposant un mécanisme de taux de change fixes mais ajustables entre les monnaies des pays de la CEE, désormais au nombre de neuf depuis l'entrée de la Grande-Bretagne, de l'Irlande et du Danemark en 1973. Le SME permet progressivement la création d'une zone de stabilité monétaire. Principale innovation par rapport au serpent : la création de l'ECU (European Currency Unit), une unité de compte regroupant les valeurs des monnaies qui la composent. Ainsi, aucune devise n'a de statut privilégié.

L’ECU (European Currency Unit) n’était pas une véritable monnaie mais une simple unité de compte, avec laquelle ni les particuliers, ni les entreprises ne pouvaient payer, contrairement d'ailleurs à ce qu'avait indiqué Marine Le Pen sur les plateaux de télévision lors du débat du second tour pour les élections présidentielles françaises de 2017. L’ECU a donc été simplement une unité de compte de la Communauté européenne avant l'adoption définitive du nom de l'euro, lors du Conseil européen de Madrid en décembre 1995.


L'ECU a été créé avec le Système monétaire européen (SME), dans le but de donner aux pays membres de la CEE une zone de stabilité monétaire en limitant les fluctuations des taux de change entre les pays membres. Ce n'était pas une vraie monnaie mais un panier de valeurs, et la valeur de l'ECU était par définition plus stable que celle des monnaies qui le composent, la faiblesse éventuelle d'une monnaie du panier étant compensée par la force des autres monnaies.

L'ÉCU a été utilisé comme unité de compte pour les institutions européennes et les banques centrales des pays membres, ainsi que comme monnaie de placement et d'endettement sur les marchés financiers. Il a donc vécu uniquement comme capital monétaire et financier, mais non pas comme capital économique. Il remplit une fonction de moyen de règlement entre les banques centrales lorsqu'elles interviennent sur le marché des changes pour défendre les parités monétaires. Il sert également comme unité de référence pour l'établissement et le fonctionnement des indicateurs de divergence entre le cours d'une monnaie du SME par rapport à l'Écu. L'Écu fait enfin office de numéraire pour la fixation des cours pivots dans le nouveau mécanisme de change.

L’objectif de cette étape d'introduction de l'Ecu est de limiter la volatilité des monnaies européennes, de renforcer la convergence des politiques économiques, et de préparer une future union monétaire plus intégrée. Il agit au final comme un élastique que l'on aurait placé autour de chaque devise du panier qui le constitue. À sa mise en œuvre, le SME rassemble huit pays sur dix, le Royaume-Uni choisissant de ne pas participer d’emblée au mécanisme de change tout en gardant la livre sterling intégrée dans le panier de l’ECU. Ce système marque la première tentative aboutie de coordination durable entre politiques de change européennes et jette les fondations de ce qui deviendra, deux décennies plus tard, la monnaie unique européenne, l’euro.


Traité de Maastricht de 1993

Dès le lancement du Système monétaire européen (SME) en mars 1979, les pays membres de la Communauté économique européenne (CEE) cherchent à resserrer les liens entre leurs politiques de change. Le SME, malgré de nombreuses tempêtes monétaires et des ajustements fréquents de taux, réussit pendant les années 1980 à renforcer la coopération monétaire. Cette décennie voit également l’émergence d’une dimension politique renforcée, symbolisée par la première élection directe du Parlement européen en 1979.

L’élargissement progressif de la CEE marque une étape supplémentaire : la Grèce adhère en 1981, suivie de l’Espagne et du Portugal en 1986, augmentant la complexité et l’enjeu de l’harmonisation monétaire. Au plan juridique, l’Acte unique européen de 1986, entré en vigueur en 1987, engage résolument l’Europe vers la réalisation du marché unique. Les barrières aux échanges de biens, personnes, capitaux et services commencent à tomber, créant l’environnement économique nécessaire à l’émergence d’une future monnaie commune.

En 1989, la publication du rapport Delors constitue une avancée décisive. Adopté par les chefs d’État européens, ce rapport décrit un plan en trois étapes pour réaliser l’Union économique et monétaire (UEM). Il prévoit notamment la suppression des contrôles sur les mouvements de capitaux à partir de 1990, condition sine qua non d’une intégration financière profonde. Très vite, la première phase du plan entre en vigueur, accélérant la convergence des politiques économiques.


Les débuts des années 1990, cependant, mettent à l’épreuve la solidité du SME : de nombreuses devises européennes sont soumises à de fortes tensions spéculatives, aggravées par des divergences économiques persistantes. L’épisode du « Black Wednesday » en septembre 1992, qui voit le Royaume-Uni et l’Italie sortir du mécanisme de taux de change suite à une attaque initiée par George Soros, « The man who broke the Bank of England », illustre la difficulté de maintenir des parités fixes au sein d’un marché encore trop hétérogène.

Au 1er janvier 1993, le marché unique européen se concrétise, permettant ainsi la libre circulation des personnes, biens, capitaux et services au sein de la CEE. Cette avancée finale parachève la logique d’intégration et crée le socle indispensable à l’instauration d’une monnaie unique. À la veille du traité de Maastricht, l’Europe dispose ainsi de l’architecture économique, politique et juridique débattue depuis plus d’une décennie pour franchir le pas décisif de l’euro.

Nous avons vu précédemment que la loi du 3 janvier 1973 était souvent accusée d’être à l’origine de la fin des emprunts gratuits accordés par la Banque de France à l’État. Il faut en réalité attendre 1993, et le traité de Maastricht, pour voir énoncer explicitement une telle interdiction de principe, dans son article 104, paragraphe 1 (réécrit à l’article 123 du TFUE) :
Article 104 1. Il est interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.


1er janvier 1994 : Création de l’Institut monétaire européen (IME)

L’année suivant la mise en application officielle du traité de Maastricht, l’Institut monétaire européen voit le jour, basé à Francfort. Sa mission principale consiste à préparer la transition vers la monnaie unique et à jeter les bases organisationnelles de ce qui deviendra la Banque centrale européenne (BCE). L’IME coordonne la convergence des banques centrales nationales et travaille aux aspects techniques nécessaires à l’arrivée de l’euro.


15 décembre 1995 : Décision de la dénomination de la devise européenne « euro » lors du Conseil européen de Madrid

Le Conseil européen de Madrid consacre, en décembre 1995, le choix du nom « euro » pour désigner la nouvelle monnaie commune. Les chefs d’État définissent également la feuille de route menant à sa mise en circulation, fixant le calendrier et les modalités pratiques du passage à la monnaie unique.


1997 : Adoption du Pacte de stabilité et de croissance à Amsterdam

En 1997, les États membres se dotent du Pacte de stabilité et de croissance. Ce texte définit des règles strictes en matière budgétaire pour garantir la stabilité de la future monnaie : chaque État doit limiter son déficit public à 3 % du PIB et maintenir le niveau d’endettement public sous contrôle. Ce dispositif vise à éviter des dérapages budgétaires susceptibles de fragiliser l’ensemble de la zone euro.


2 mai 1998 : Sélection des pays fondateurs de l’euro

Le 2 mai 1998, le Conseil européen officialise la liste des onze premiers pays qui remplissent les critères de convergence et qui adopteront l’euro dès sa mise en place. Cette décision marque une étape symbolique : pour la première fois, une majorité d’États européens s’apprête à renoncer à leur souveraineté monétaire au profit d’une monnaie commune.


1er juin 1998: Mise en place de la Banque Centrale Européenne

La création d’une nouvelle organisation monétaire supranationale, la Banque centrale européenne (BCE), et l’intégration des banques centrales nationales (BCN) dans un système européen de banques centrales (le SEBC) et son sous-ensemble, l’Eurosystème, illustrent le passage au stade supranational de l’activité de banque centrale en Europe. L'objectif principal de sa politique monétaire est la stabilité des prix dans la zone euro.

L’Allemagne a été très attachée au maintien des BCN car cela garantissait à la fois l’ancrage local et l’indépendance, inspirant la structure fédérale du système monétaire européen. Ce compromis a rassuré les autorités et citoyens allemands lors de l’abandon du mark, assurant que la nouvelle union monétaire ne serait pas synonyme de dilution ou de recentralisation exclusive à Francfort, mais bien d’une gouvernance collective et décentralisée fidèle à l’héritage de la Bundesbank.

Le 2 mai 1998, le Conseil de l’UE, réuni au niveau des chefs d’État ou de gouvernement, a décidé à l’unanimité que onze États membres remplissaient les conditions nécessaires à l’adoption de la monnaie unique le 1er janvier 1999. Ces pays (l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal) allaient, par conséquent, participer à la phase III de l’UEM. Compte tenu de leur statut spécial, le Danemark et le Royaume-Uni ont bénéficié d’une « clause d’exemption » à la phase III de l’UEM, et la Grèce et la Suède ont été considérées comme ne satisfaisant pas aux conditions nécessaires à l’adoption de la monnaie unique.

Le 25 mai 1998, le président, le vice-président et les quatre autres membres du Directoire de la BCE ont été officiellement nommés d’un commun accord par les onze États membres alors participants, au niveau des chefs d’État ou de gouvernement. Les nominations des six membres du Directoire ont pris effet le 1er juin 1998, avec la mise en place de la BCE.


1er janvier 1999

La troisième et dernière phase de l’UEM a débuté le 1er janvier 1999. Les taux de conversion des monnaies des onze États membres participant dès le début à l’Union monétaire ont été irrévocablement fixés et la BCE a pris la responsabilité de la conduite de la politique monétaire unique dans la zone euro.

1er janvier 2002 

Les pièces et billets en euros sont introduits dans la vie quotidienne de plus de 300 millions d’Européens. Durant quelques semaines, l’euro et les anciennes monnaies nationales cohabitent avant que ces dernières ne cessent d’avoir cours légal. Le franc français disparaît alors définitivement des transactions.


V - Le temps des crises et des dernières réformes (2002 - 2025)


Dès 2001, la Grèce rejoint la zone euro, suivie au fil des ans par de nouveaux membres : Slovénie (2007), Chypre et Malte (2008), Slovaquie (2009), Estonie (2011), Lettonie (2014), Lituanie (2015) et Croatie (2023).

La zone euro est malheureusement confrontée à plusieurs crises majeures, notamment la crise des dettes souveraines qui éclate en 2010. La Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et Chypre doivent faire appel à l’aide européenne pour éviter la faillite. Des dispositifs de solidarité et de surveillance budgétaire accrus sont mis en place, renouvelant en profondeur la gouvernance économique de la zone euro.

Pour faire face aux nouvelles exigences, les États membres créent plusieurs instruments de gestion de crise et d’intégration financière : le Mécanisme européen de stabilité (MES) sert de « filet de sécurité » pour les États en difficulté ; dès 2014, l’Union bancaire transfère la supervision des principales banques européennes à la BCE ; enfin, la BCE met en œuvre des mesures exceptionnelles comme les rachats de dette publique, et des politiques de taux d’intérêt très faibles pour soutenir la croissance et enrayer la déflation.


Novembre 2015: Système Européen unique d'Assurance des Dépôts (SEAD)

En novembre 2015, la Commission européenne a présenté une proposition législative visant à établir un système européen unique d'assurance des dépôts (SEAD) qui compléterait les mécanismes nationaux existants de garantie des dépôts. En cas de défaillance bancaire, la législation de l'UE garantit déjà une protection de tous les dépôts à hauteur de 100000 euros dans le cadre des systèmes nationaux de garantie des dépôts.

Pourvu d'un fonds unique, le SEAD garantirait également une protection égale de qualité à tous les déposants de l'union bancaire en cas de défaillance bancaire. Il disposerait de plus de ressources que les fonds nationaux de garantie des dépôts pour faire face aux chocs locaux de grande ampleur.

En France, c’est le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), institution de droit privé créée en 1999 et gérée par les banques contribuant au fonds, qui est chargée de dédommager les déposants, à la demande de l’instance de régulation du secteur financier, l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), lorsque leur banque ne peut plus faire face à ses engagements.

2018-2019 : Progrès de l’Union bancaire

La surveillance des grandes banques européennes par la Banque centrale européenne (BCE) à travers le Mécanisme de Supervision Unique (MSU) devient pleinement effective. Le Fonds de résolution unique voit son financement renforcé pour gérer de potentiels défaillances bancaires à l’échelle européenne.

2020-2021 : Réponse monétaire à la crise du Covid-19

Face à la pandémie, la BCE met en œuvre des politiques monétaires exceptionnelles (programmes d'achats d'actifs, taux directeurs historiquement bas) pour soutenir l’économie de la zone euro, et l’Union européenne lance un fonds de relance exceptionnel de 750 milliards d’euros, le « Next Generation EU », impliquant pour la première fois un endettement commun au niveau européen.

La majeure partie des fonds (environ 672,5 milliards d’euros) transite par un instrument appelé facilité pour la reprise et la résilience (« Recovery and Resilience Facility », RRF). C’est cet outil qui finance la majorité des plans nationaux de relance, combinant subventions et prêts, avec des objectifs précis : transition écologique, numérisation, résilience économique et sociale.

La France bénéficie d’une enveloppe totale d’environ 40,3 milliards d’euros de subventions provenant du plan européen Next Generation EU (NGEU) sur les 750 milliards d’euros du plan global. Ce montant s'est légèrement accru avec l'ajout du volet REPowerEU, notamment pour financer la transition énergétique. En termes de contribution marginale, la France compte parmi les principaux financeurs du plan car sa quote-part dans le budget de l’UE est proportionnelle à son poids économique (environ 19% du PIB de l’Union selon les sources et années). Concrètement, la France devra contribuer à hauteur de près de 19% du remboursement futur de la dette commune émise par la Commission européenne pour financer ce plan, soit environ 142 milliards d’euros sur les 750 milliards, toutes modalités confondues.


2022-2023 : Gestion de l’inflation et renversement de politique monétaire

La BCE met fin à sa politique de taux zéro et entame une série de hausses rapides des taux directeurs pour protéger la valeur de l’euro face à une inflation record provoquée par la guerre en Ukraine et la reprise post-pandémie. 

Malgré cela, des taux d'inflation élevés et disparates ont été observé au sein de la zone euro (ex. 3,46% en Grèce en 2023 vs. 7,94% en Croatie en 2023), refletant ainsi des comportements économiques différents suivant les pays de la zone. La Bulgarie a d'ailleurs atteint en 2023 un taux d'inflation record de 9,44%.


8 juillet 2025 : Décision officielle pour l’intégration de la Bulgarie à la zone euro

La Bulgarie obtient le feu vert pour rejoindre la zone euro au 1er janvier 2026, marquant un nouvel élargissement imminent de la zone monétaire unique.

Un manifestant bat un tambour portant le logo barré de l’euro, le 31 mai 2025 à Sofia,
lors d’une manifestation populaire contre la monnaie commune européenne
et pour la défense du lev bulgare.
Néanmoins, en Bulgarie, membre de l’UE depuis 2007, la perspective d’abandonner la monnaie nationale est pourtant loin de faire l’unanimité. Au cours des dernières semaines précédant la décision officielle, plusieurs milliers de manifestants se sont réunis dans les rues de la capitale, Sofia, brandissant des pancartes « Non à l’euro ».


VI - Conclusion : Aspects sociétaux et économiques


L’abandon du franc et l’adoption de l’euro ont représenté bien plus qu’un simple changement d’unité monétaire : cette transition a affecté en profondeur l’économie, la société et l’imaginaire collectif français.

Transformation du pouvoir d’achat et adaptation quotidienne

Pour beaucoup de Français, le passage à l’euro, officiellement effectué le 1er janvier 2002, fut d’abord un défi concret : il fallait apprendre à manipuler de nouvelles pièces et billets, adopter de nouveaux repères pour les prix, et convertir mentalement les montants (1 euro = 6,55957 francs). Si les autorités avaient promis la stabilité économique et la continuité du pouvoir d’achat, une perception durable d’augmentation régulière des prix s’est installée, alimentée par le phénomène du « franc fort » et la tentation qu’eurent certains commerçants d’arrondir les tarifs à la hausse lors de son introduction en 2002. Les citoyens ont souvent ressenti une baisse de leur pouvoir d’achat : la mémoire du franc, ancrée dans l’habitude et la vie quotidienne, a continué d’influencer la perception de la valeur des biens et services.

Impacts économiques : bilan contrasté

Sur le plan macroéconomique, le passage à l’euro visait à doper la compétitivité de la France, à faciliter les échanges commerciaux intraeuropéens et à limiter les risques de crises monétaires nationales. Les exportateurs ont bénéficié de la disparition des commissions de change et de la stabilité des taux au sein de l’eurozone. Toutefois, certains secteurs plus dépendants du marché intérieur ou des exportations hors zone euro ont ressenti de nouvelles contraintes, notamment en matière de compétitivité-prix face aux économies plus robustes (ex : Allemagne). La gestion des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne, pensée pour l’ensemble de la zone, a pu parfois paraître inadaptée aux spécificités conjoncturelles de la France, limitant la capacité à jouer sur l’outil monétaire national en cas de crise.


TARGET 2 : Un vrai déséquilibre entre France et Allemagne

TARGET 2 est le grand système de paiement de la zone euro qui permet aux banques des différents pays d’échanger de l’argent entre elles en temps réel et en toute sécurité. Il est géré par la Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales nationales, et son but est de faciliter les transferts d’argent très importants, en particulier ceux entre institutions financières.

Les soldes TARGET 2 reflètent donc le solde net de tous ces transferts : par exemple, si beaucoup d’argent quitte la France pour être investi en Allemagne, le solde français sera négatif et celui de l’Allemagne positif. TARGET 2 est donc comme l’autoroute ultra-rapide et sécurisée des paiements interbancaires en euros partout en Europe, indispensable au fonctionnement du marché unique et à la stabilité financière de l’euro.

évolution de la balance des paiements TARGET 2
dans la zone euro entre 2002 et 2025
TARGET balances | ECB Data Portal
Un déséquilibre persistant dans la balance des paiements TARGET2 soulève plusieurs enjeux et risques possibles pour la stabilité de la zone euro et ses États membres.Des soldes très élevés (créances ou dettes) dans TARGET2 reflètent souvent des flux nets de capitaux entre les pays de la zone euro. Par exemple, un solde positif très important pour l’Allemagne indique que des capitaux (liquidités, actifs financiers) affluent vers l’Allemagne depuis d’autres pays (Italie, France, Espagne, etc.), traduisant parfois une méfiance à l’égard des systèmes bancaires ou économiques de ces derniers. Cela peut être le symptôme de failles structurelles, d’un manque de compétitivité ou d’une divergence au sein de l’union monétaire.
Balance des paiements TARGET 2 de l'Allemagne
Le montant atteint un solde positif de 1051 Mds d'euros en 2025

Balance des paiements TARGET 2 de la France
Le montant atteint un solde négatif de -194 Mds d'euros en 2025
Un déséquilibre durable signifie également que certains pays dépendent structurellement de la liquidité fournie par la BCE via le système TARGET2, alors que d’autres accumulent des créances. En cas de crise de confiance (par exemple une sortie d’un pays de la zone euro), les pays débiteurs pourraient avoir du mal à honorer ces dettes, engendrant alors de lourdes pertes pour les créanciers comme l’Allemagne. Cela expose l’Eurosystème à un risque de fragmentation financière, où chaque pays se replie sur son propre secteur bancaire. On peut voir dans l'évolution de la balance des paiements TARGET 2 une nette dégradation de la situation française et un écart abyssal avec son voisin allemand.


Aspects culturels et identitaires

La disparition du franc, monnaie officielle depuis le Moyen Âge, est vécue par de nombreux Français comme une perte d’identité. Le franc symbolisait une souveraineté nationale, et sa substitution par une monnaie supranationale a suscité nostalgie, résistances, voire méfiance. Les débats sur « le franc versus l’euro » restent vifs dans l’opinion publique, reprenant lors de chaque crise économique, voire lors de chaque élection présidentielle. 2027 pourra être une nouvelle fois l'opportunité de débats constructifs sur les conséquences de l'adoption de l'euro en France, et les conséquences économiques et financières de rester dans la zone euro, ou d'en sortir. Dans tous les cas, le débat doit pouvoir se tenir sereinement, et chaque point de vue devra pouvoir s'exprimer.


Conséquences sur la politique économique et le rôle de la France en Europe

L’euro a contraint la France à une discipline budgétaire renforcée, les déficits publics étant désormais surveillés selon les critères de Maastricht. Cela a énormément limité l’autonomie de la politique économique nationale, mais a aussi permis de limiter les épisodes d’inflation et de dévaluation brutale qui avaient marqué l’histoire du franc au XXe siècle.


Regard sur les évolutions récentes

Le débat sur les coûts et les bénéfices de la monnaie unique, sur la diversité des économies nationales et la nécessité d’une meilleure intégration économique au sein de la zone euro, demeure toujours d’actualité. Au lieu de rapprocher les économies, l’euro a contribué à accentuer certaines divergences structurelles : l’industrie s’est concentrée dans certains pays (comme l’Allemagne) tandis que d’autres se sont spécialisés dans des secteurs moins porteurs. Les différences de dynamisme, de chômage ou de compétitivité se sont souvent renforcées faute de mécanismes de compensation (comme des transferts budgétaires européens). 

Si la politique monétaire est commune, les politiques budgétaires, sociales, fiscales et économiques restent nationales et insuffisamment coordonnées. Cela a mené à des tensions et à une inefficience globale, car la BCE doit composer avec des situations très disparates sans avoir les moyens d’adapter son action à chaque pays. La monnaie est en effet une fonction résultante des paramètres mentionnés plus haut, et non une variable d'entrée de l'économie.

En cas de choc asymétrique (crise spécifique à un seul pays, comme la Grèce en 2010), l’euro empêche les ajustements par la monnaie, forçant ces pays à de « violents ajustements internes » : baisses des salaires, hausses des impôts, réductions de dépenses publiques, provoquant parfois de vives tensions sociales et politiques.

Sources


Webographie


https://www.cvce.eu/obj/memorandum_de_la_commission_chapitre_viii_politique_monetaire_24_octobre_1962-fr-27a6422f-754a-4401-975c-885212128d02.html
Dans le chapitre VIII de son mémorandum sur le programme d'action de la Communauté pendant la deuxième étape de l'Union douanière, la Commission de la Communauté économique européenne propose une meilleure coordination des politiques monétaires des États membres.


Bibliographie

  • Robert Marjolin - Le travail d'une vie, mémoires 1911~1986 - Robert Laffont, 1986
  • Jean Monnet - Mémoires, Fayard, 1976
  • Marc Joly - Le mythe Jean Monnet, CNRS Editions, 2007

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